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  • Photo du rédacteurgabriellehalpern

Usbek et Rica: Redonner à nos musées un rôle de point de repère dans notre société

Dernière mise à jour : 12 juin 2021



Après plus de six mois de fermeture en raison de la crise sanitaire, les musées ont rouvert leurs portes et cela est l’occasion de s’interroger sur leur rôle et leur place dans la Cité. Au mois d’avril dernier, un événement passé quasiment inaperçu et pourtant d’une très grande valeur symbolique a eu lieu : le Musée d’art moderne de Strasbourg a ouvert ses portes aux donneurs de sang ! Du fait de la crise sanitaire, les dons du sang étaient en baisse et cette initiative a connu un immense succès. Les créneaux ont été très vite remplis et, le don ayant eu lieu au sein même des salles du musée, les deux cents donneurs ont pu profiter en même temps des œuvres d’art. Ils ont ensuite visité gratuitement le musée, ouvert pour l’occasion. Selon les mots de Paul Lang, directeur des musées de la Ville de Strasbourg, il y avait des habitués, bien sûr, mais il y avait également des donneurs qui n’étaient jamais venus au musée. Ce partenariat avec l’Établissement français du don du sang est important, car il permet de rappeler la fonction civique du musée. Pour reprendre la définition de Malraux, il s’agit de « l’un des lieux qui donnent la plus haute idée de l’homme ».


Cet événement interroge sur la définition même des musées. Sommes-nous certains que nous voulons les définir comme des « lieux clos d’exposition » ? Ne pourraient-ils pas être autre chose ?


Il y a quelques mois, des représentations des œuvres de l’exposition du Petit Palais consacrée à la peinture danoise ont été installées dans les couloirs de la Gare de Lyon ; il y a quelques semaines, la ville de Reims a annoncé que des reproductions des œuvres du Musée des Beaux-arts seraient placées dans les vitrines des Galeries Lafayette.


En visionnaire, Andy Warhol nous annonçait, en 1975, « qu’un jour, les grands magasins deviendraient des musées et les musées deviendraient des grands magasins » ! De son côté, aux critiques qui reprochaient au Centre Pompidou de ressembler à un hypermarché avec ses escalators extérieurs, l’architecte Renzo Piano répondait: « Tant mieux! Personne n’a peur de se rendre dans un hypermarché… »


Est-ce une profanation, une instrumentalisation de l’art ? Non, bien au contraire, c'est lorsqu'il est accessible au plus grand nombre que l'art devient sacré, contrairement à ce que pensent ceux qui voudraient l'enfermer dans des lieux clos, où vient surtout un public privilégié. Par une terrible incapacité à comprendre ce qui n’entre pas dans nos cases, nous sommes emprisonnés dans de trop nombreux préjugés. Un musée est un musée, un centre commercial est un centre-commercial, une gare est une gare, un hôtel est un hôtel, une usine est une usine, un opéra est un opéra… Et gare à ce qui oserait déborder de ces catégories ! Et pourtant, nous assistons à un processus d’hybridation[1] de notre monde, qui va devenir la grande tendance de notre temps. Et cette hybridation est une véritable chance pour notre société, ainsi que pour ceux qui l'habitent !


Alors que la crise sanitaire a mis à mal un certain nombre de secteurs d'activités, une approche hybride pourrait les aider à se relancer. Et si les hôtels devenaient des résidences d'artiste et des écoles d'art? Et si les voitures devenaient des musées? Et si les galeries marchandes devenaient des galeries d'art? Et si c'était la culture qui sauvait l'économie? Et si l'art devenait un véritable levier de performance des entreprises? Et si les directeurs de l'innovation et de la stratégie commençaient enfin à s'intéresser à la culture et à comprendre qu'elle peut être un enjeu stratégique de développement et un avantage concurrentiel ? Nous voyons déjà ces hybridations à l’œuvre dans le secteur automobile avec l’annonce du partenariat entre DS Automobiles et le Musée du Louvre[2] pour construire la première étape de ce que pourrait être une « voiture-musée » ; dans le secteur de l’hôtellerie, où des établissements font des pas de côté pour se transformer en hôtel-résidence d’artiste-école d’art ; dans le secteur du livre, où nous assistons en Chine à la démultiplication de librairies-cathédrales[3] aux files d’attente impressionnantes pour pouvoir y entrer !


De la même manière que l’art doit être instillé dans des lieux où nous n’avons pas l’habitude de le trouver, - dans les gares, les hôtels, les magasins -, il nous faut repenser les musées pour en faire des lieux ouverts, prolongés dans les rues et accessibles au plus grand nombre !


Pour aller encore plus loin dans cette ambition, il serait même tentant de transformer nos musées en véritables tiers-lieux pour qu’ils jouent un rôle de point de repère au sein de notre société et qu’ils soient des lieux fédérateurs où des activités, des imaginaires, des usages, des logiques, des générations très différentes puissent s’y croiser. George Henri Rivière, le fondateur du musée moderne, disait que « le succès d’un musée ne se mesure pas au nombre de visiteurs qu’il reçoit, mais au nombre de visiteurs auxquels il a enseigné quelque chose »…


Et si le succès d’un musée se mesurait aussi à sa capacité d’hybridation, c’est-à-dire aux métamorphoses et aux rencontres qu’il provoque ? Il est temps d'hybrider véritablement l'art et l'économie, et au-delà, l'art et la société!



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