Tribune de Gabrielle Halpern
"Alors que la cérémonie des Lauriers de l’audiovisuel, qui est placée sous le haut patronage du ministère de la Culture et de la Commission nationale française pour l'UNESCO et qui distingue des acteurs ou des programmes de la production audiovisuelle et radiophonique française, vient d’avoir lieu, elle peut être l’occasion de s’interroger sur le rôle joué par ce secteur dans notre pays. Quel est aujourd’hui le rôle de l’audiovisuel ? Pour répondre à cette question, il peut être intéressant de rappeler les propos de l’un des plus grands penseurs européens du XXe siècle, Elias Canetti :
« Ce que nous vivons est régi par des images. Elles s’incorporent à nous comme une sorte de bien-fonds. Selon les images qui vous composent, votre existence prendra un tour tout différent »…
Ces propos sont d’une éclatante actualité. En effet, jamais les images n’ont été aussi nombreuses autour de nous ; aujourd’hui, elles constitueraient presque une nouvelle langue, avec ses règles, sa conjugaison et sa grammaire. Les hommes préhistoriques avaient déjà bien saisi leur influence, puisqu’ils s’entouraient d’images, dessinées au cœur de leur caverne. Nous pourrions presque dire qu’ils « habitaient » dans ces images, - ou que ces images habitaient en eux, ce qui revient à peu près au même -, puisqu’elles étaient présentes, sur leurs murs et sous leurs yeux, continuellement. Or, Elias Canetti le dit : « selon les images qui vous composent, votre existence prendra un tour tout différent ». Autrement dit, dis-moi ce que tu regardes, je te dirai qui te vas devenir ! Cela signifie qu’aucune image n’est anodine.
Cette idée est vertigineuse et elle devrait nous interpeller, chacun d’entre nous, individuellement, dans le choix des images que nous regardons ou non sur nos écrans. En posant un simple, même un bref regard sur les images, elles entrent dans nos orbites et s’impriment sur nos rétines ; malgré nous, sans nous en douter, nous les faisons pénétrer en nous et bientôt, elles se confondent avec nous. Le philosophe grec du Ve siècle avant l’ère chrétienne, Empédocle, a d’ailleurs élaboré une théorie de la sensation selon laquelle l’âme est modifiée par l’intermédiaire de la vue. Ce que nous regardons modifierait-il notre âme ? Tout cela signifie en tout cas qu’il nous faut cultiver une exigence et une vigilance immenses à l’égard de ce que nous regardons et de ce dont nous nous entourons. Aucune image n’est anodine ; toutes peuvent orienter nos destins. En choisissant ce que nous regardons, nous redevenons maître de ce que nous pouvons devenir.
Cette idée a également des implications immenses pour le rôle de ceux qui produisent, financent, conçoivent, créent, donnent à voir des images, c’est-à-dire tous les professionnels de l’audiovisuel. Il ne s’agit pas seulement d’une question sociale, mais également d’une question civique. Comme le rappelle le philosophe Jean-Jacques Rousseau, nous ne sommes pas une juxtaposition d’individus, nous appartenons à un contrat social. Par cet acte d’association, nous constituons un corps moral et collectif. Il est donc important de rappeler le rôle civique que l’audiovisuel joue. Il est urgent qu’il prenne conscience de la responsabilité civique qu’il a, qu’il doit assumer.
Aucune image n’est anodine et cela est aussi vrai à l’échelle d’un pays. Selon les images qui composent une société, selon les images qui composent un pays, son existence prendra un tour tout différent. L’audiovisuel joue donc un rôle civique dans la manière dont la France existera demain…"
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