Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
Et si l’hybridation était la grande tendance du monde qui vient?[1] L’hybridation, c’est le mariage improbable! C’est le fait de mettre ensemble des choses, des secteurs, des activités, des métiers, des personnes, des usages, des compétences, des générations, qui, a priori n’avaient pas grand-chose à voir ou à faire ensemble, voire qui pouvaient sembler contradictoires, et qui, hybridés, vont donner lieu à des tiers-usages, des tiers-lieux, des tiers-objets, des tierces-économies, des tiers-modèles… à de nouveaux mondes, en somme[2]!
De fait, les signaux faibles d’hybridation[3] se démultiplient, plus que jamais. De nouvelles manières d’habiter s’installent avec le coliving où l’on mutualise une buanderie, une chambre d’amis, une cuisine ou encore une voiture à l’échelle d’un immeuble ; des écoles rurales transforment leur cantine en brasserie pour le village et ouvrent leurs portes aux personnes âgées pour leur apprendre à se servir d’un ordinateur. Les territoires, eux, voient se multiplier les « tiers-lieux » : il s’agit d’endroits insolites qui mêlent des activités économiques, avec de la recherche scientifique, de l’innovation sociale ou encore des infrastructures culturelles. Des gares se transforment en musée pour donner au plus grand nombre l’accès à l’art. Dans le même temps, des pianos sont installés dans des magasins où l’on organise des ateliers de lecture et de cuisine, des hôtels proposent des espaces de coworking, des fermes deviennent des parcs d’attraction; tandis que l’on construit des crèches dans des maisons de retraite…
Ces nouvelles réalités hybrides se multiplient et prennent leur essor, réconciliant et réunissant ce qui avait été artificiellement séparé - les générations, les économies, les métiers, les activités, les territoires - ; ce faisant, elles remettent radicalement en question un grand nombre de nos catégories juridiques. L’hybridation des fermes, des maisons de retraite ou encore des écoles nous invite à hybrider les droits, - public, privé, commercial ou rural -, en entrecroisant les catégories juridiques. Les transformations du monde du travail qui vont dans le sens d’une hybridation des vies professionnelles et d'une pluri-appartenance statutaire appellent à une hybridation des contrats de travail ou encore des fiches de poste. La réversibilité des espaces et des usages selon la saison de l’année, le jour de la semaine ou l’heure de la journée nous invitent à jongler avec les normes et les objets sociaux ; - ce qui, soit dit en passant, va poser d’immenses questions aux assureurs ! Les collaborations croissantes entre les startups et les grands groupes ou les startups et les administrations centrales ou les startups et les collectivités requièrent de nouveaux cadres de partenariat. "L’innovation ouverte" invite à repenser la propriété intellectuelle pour ouvrir la voie à des possibilités de copropriété intellectuelle entre les parties prenantes.
Aujourd'hui, les juristes jouent, plus que jamais, un rôle immense et déterminant ; ils doivent être "des jardiniers et des architectes", pour reprendre les mots de Mireille Delmas-Marty. Il s’agit de mettre le droit au service de la réalité et non plus la réalité au service du droit… Hybridons les droits !
[1] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020. [2] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020. [3] Gabrielle Halpern, « La Fable du centaure », Humensciences, 2022 (BD illustrée par Didier Petetin).
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