top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurgabriellehalpern

Radio RCJ : Odessa, ville-centaure


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


Aujourd’hui, je souhaiterais vous parler d’Odessa. A priori, il s’agit d’une simple ville ukrainienne, au bord de la mer noire. Sauf que lorsque vous vous y promenez, vous ne savez pas si vous êtes à New York, à Vienne, à Florence, à Tel-Aviv, à Paris, à Marseille ou à Saint-Pétersbourg, parce que vous vous trouvez dans toutes ces villes en même temps et à la fois. Vous ne savez pas non plus si vous marchez dans une ville orientale ou occidentale, européenne, slave ou méditerranéenne. Et pour cause ! Colonie grecque, puis conquête tatare et ottomane, avant d’être baptisée Odessa par la grande impératrice Catherine II de Russie, qui la fonde à la fin du 18e siècle, elle a été construite par des Italiens, des Français ; elle a attiré des populations grecques, espagnoles, anglaises, albanaises, bulgares, juives, moldaves, arméniennes, allemandes, turques, russes, et beaucoup d’autres (extrait de "Tous centaures! Eloge de l'hybridation", Le Pommier, 2020).


Odessa fait voler en éclats toutes nos catégories, ou plutôt, elle les rend toutes superflues. Cette ville n’est ni vraiment ceci, ni vraiment cela. Elle est ceci, et aussi cela, et encore tant d’autres choses.


Il s’agit d’une ville-centaure, d’une ville-monde qui nous invite à construire en nous-mêmes une case spéciale, sur-mesure, en forme d’Odessa. Ville hybride par excellence, Odessa illustre extraordinairement bien mes travaux de recherche en philosophie sur l’hybridation.


Étant l’une des terres de mes ancêtres, j’y suis allée à plusieurs reprises et c’est à cette occasion que j’ai entendu parler de Piotr Stoliarski (1871-1944), un merveilleux professeur de violon, fondateur de la première école spéciale de musique[1] d’Odessa.


Il avait tout compris de la pédagogie : en effet, il avait pour habitude d’accueillir les jeunes enfants dans une grande pièce remplie de jouets. Les enfants avaient le droit de jouer avec tous les jouets, de toucher tous les objets, sauf un : le violon entreposé dans un coin ! Forcément, comme Adam et Eve avec l’arbre de la connaissance, le violon était l’objet qui fascinait le plus les enfants… Mais interdiction d’y toucher ! Puis de semaine en semaine, les enfants avaient le droit de le toucher une fois, puis de le prendre quelques minutes entre les mains. Puis, enfin, d’apprendre à y jouer !


Quel formidable pédagogue qui avait tout compris du désir, du désir d’apprendre et du manque, du rapport de l’être humain à l’interdit! En procédant ainsi, en cultivant la frustration, le manque et le désir, il créait dans le cœur des enfants l’amour de la musique...


[1] https://www.amis-odessa.fr/odessa-des-musiciens


bottom of page