top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurgabriellehalpern

Note Fondation Jean Jaurès: "Tiers-lieux - Les conditions d'une véritable hybridation"


En partenariat et avec le soutien du mouvement d'éducation populaire Les Petits Débrouillards, la philosophe Gabrielle Halpern a publié à la Fondation Jean Jaurès une note de prospective sur le phénomène des tiers-lieux, s'interrogeant pour savoir s'ils constituaient ou non un laboratoire d'expérimentation de l'avenir. Cette étude sur les tiers-lieux s’inscrit dans ses travaux de recherche sur l’hybridation et est notamment issue d’entretiens avec un certain nombre de parties prenantes, - directeurs de tiers-lieux, porteurs de projet de tiers-lieux, élus, etc. -, rencontrées ces derniers mois et que Gabrielle Halpern remercie pour leur temps, leur sincérité et leur regard.


Au sein des territoires, ruraux, périphériques comme urbains, des endroits insolites mêlent des activités qui a priori n’ont pas grand-chose à voir ensemble. Comment comprendre la multiplication de ces tiers-lieux ? En quoi ces espaces pourraient amener de nouvelles formes de création de collectif ?


Extrait: "Parmi les signaux faibles témoignant de l’hybridation progressive de notre monde, il y a les tiers-lieux. Nous voyons se multiplier, au sein des territoires, ruraux, périphériques comme urbains, des endroits insolites qui mêlent des activités qui a priori n’ont pas grand-chose à voir ensemble – des activités économiques comme de l’artisanat et du numérique, de la recherche scientifique ou encore des infrastructures culturelles –, mais qui conduisent à la création d’un monde nouveau3. Fortement ancrés dans le territoire où ils sont nés, ces tiers-lieux nourrissent des liens forts avec celui-ci. La diversité d’activités conduit à une diversité de publics accueillis, de métiers, de générations, qui, là encore, semblaient jusqu’à présent n’avoir pas grand-chose à voir ensemble – générant de nouveaux modèles de collaboration professionnelle, une nouvelle manière d’exister collectivement, l’invention de nouveaux liens et de nouvelles solidarités. Ces collectifs, par la façon dont ils se forment et se cultivent, semblent interroger l’exercice de la citoyenneté contemporaine et apportent des clefs qui pourraient nourrir une réflexion sur la façon de repenser notre contrat social, à la fois dans le domaine politique et dans le domaine professionnel.


En réunissant des activités a priori hétéroclites, ces tiers-lieux s’inscrivent dans un objectif d’utilité, de lien et d’innovation sociaux et entendent estomper progressivement les frontières artificielles créées entre les générations, les secteurs, les métiers, les territoires, les publics. L’émergence de ces tiers-lieux, ainsi que de tous ces exemples cités plus haut, sont-ils la preuve que nous commençons à apprivoiser notre angoisse face à ce qui n’entre pas dans nos cases ? Une angoisse, qui nous a conduits, pendant des siècles4, à ignorer, voire à rejeter tout ce qui, dans la réalité, pouvait sembler de près ou de loin hybride, c’est-à-dire hétéroclite, contradictoire, incasable. Une angoisse que nos ancêtres de l’Antiquité grecque ont incarnée dans la figure du centaure5 – mi-humain, mi-cheval, figure hybride par excellence –, presque toujours décrite, dépeinte ou sculptée comme menaçante. Ce qui est hybride nous veut-il du mal ? C’est ce dont nous semblons avoir été persuadés pendant longtemps. Alors que nous voyions le monde sous le prisme de l’identité et de l’homogénéité, nous commençons peut-être à comprendre combien l’hybridation peut être une véritable chance pour notre société et pour ceux qui l’habitent.


Mais quelle est la condition pour pouvoir parler d’« hybridation » au sujet des tiers-lieux ? Pour répondre à cette question, il convient de rappeler que l’hybridation pose la question de la relation à l’autre6. Quelle est la juste relation à l’autre ? C’est là que la figure du centaure peut nous apporter quelques lumières. Dans le centaure, quelle est la relation entre la partie humaine et la partie chevaline ? Sont-elles dans une relation de fusion où l’on ne sait plus qui est qui ? Sont-elles dans une relation de juxtaposition où elles coexistent, mais chacune mène sa propre vie dans l’indifférence de l’autre, ou sont-elles dans une relation d’assimilation, c’est-à-dire qu’il y a une partie qui essaie de prendre le pas sur l’autre ? Ces trois types de relation – la fusion, la juxtaposition ou l’assimilation – constituent les trois pièges de la relation à l’autre, et cela est vrai dans le domaine amical, professionnel, amoureux ou géopolitique. L’hybridation n’est ni la fusion, ni la juxtaposition, ni l’assimilation. Il existe une quatrième voie, qui est celle de la « métamorphose réciproque7 » : pour obtenir un centaure, il ne suffit pas de mettre un homme sur un cheval, mais il faut que chacune des parties fasse un pas de côté, sorte de son identité, se métamorphose au contact de l’autre, et alors seulement il y aura rencontre, et donc création d’une tierce figure, d’un tiers monde, d’un tiers-lieu. La juste relation à l’autre peut se définir comme « la métamorphose réciproque8 », qui mène à l’hybridation.


Dans quelle mesure ces tiers-lieux ne constituent-ils pas une simple juxtaposition d’activités, de publics, de compétences, de générations et d’usage, mais conduisent-ils à une véritable hybridation des mondes ? Y a-t-il une hybridation au sein des tiers-lieux et si oui, quelles sont ses formes, ses dynamiques, ses conditions de possibilité et ses conditions de durabilité ? Comment les collectifs se constituent-ils au sein de ces lieux atypiques ? Dans quelle mesure les tiers-lieux peuvent-ils être des écoles d’apprentissage de l’altérité et constituer des laboratoires d’expérimentation de nouvelles méthodes, de nouvelles manières de se rencontrer et de collaborer ? Dans quelle mesure permettent-ils de repenser la citoyenneté et le contrat social ? Dans quelle mesure ces tiers-lieux peuvent-ils devenir des points de repère fédérateurs au sein des territoires, de par les collectifs qu’ils cultivent ?


Pour tenter de répondre à ces questions, un certain nombre d’entretiens9 ont été menés dans différents tiers-lieux, afin de recueillir des éléments de réflexion sur ces collectifs, la manière dont ils se forment, se cultivent et perdurent".








bottom of page