"La bâtisseuse de ponts à l'heure des murs" - Interview de la philosophe Gabrielle Halpern sur RFI

La philosophe Gabrielle Halpern a accordé une interview sur RFI pour présenter son nouveau livre "Créer des ponts entre les mondes - Une philosophe sur le terrain" (Fayard). Extraits.

"Ce que j’ai surtout compris, de toutes ces années passées dans les cabinets ministériels, c’est que le pouvoir, le véritable pouvoir, c’est le temps. Le temps est une arme, le temps est une démonstration de puissance ; celui qui impose à l’autre sa temporalité est celui qui a le pouvoir.  La hiérarchie se traduisait par une hiérarchie de l’attente ; vous attendiez celui qui avait plus de pouvoir que vous et vous faisiez attendre celui qui en avait moins. Le ministre faisait attendre ses visiteurs, les conseillers techniques me faisaient attendre en m’envoyant les éléments pour la rédaction des discours ministériels souvent à la dernière minute ou quand cela les arrangeait, - me laissant parfois une quinzaine de minutes à peine pour écrire un discours qui devait en durer quarante-cinq -, Matignon faisait attendre les ministres et l’Elysée faisait attendre Matignon. Tout était une question de temps. Par exemple, lorsque l’idée a germé au ministère de mettre en place un conseil scientifique, j’ai eu tout le loisir d’observer ces conflits de temporalité. Imaginez une réunion où discutent le scientifique, le politique et l’administratif, où chacun se tient sous l’empire de ses représentations, de sa langue, de ses desseins, de son rythme, de sa méthode et de ses préjugés ; à cela, ajoutez les conflits de temporalités et vous obtiendrez une absurde corrida d’identité contre identité. Le scientifique a sa rigueur, ses expérimentations et son temps long ; l’administratif a sa hiérarchie, ses codes et son rythme ; le politique a ses objectifs, ses urgences et sa responsabilité. Ils ressemblent à ces atomes, décrits par Lucrèce, qui « descendent en ligne droite dans le vide, entraînés par leur pesanteur ». Chacun défend sa place, sa pureté, son identité : au politique, le politique ; au scientifique, le scientifique et à l’administratif, l’administratif", Gabrielle Halpern

"J’ai compris combien la temporalité agissait comme un langage; chacun, chaque corporation, chaque fonction, chaque monde a le sien et c’est ainsi que, chacun parlant dans sa langue, toutes les langues sont étrangères et provoquent de l’incompréhension. Le défi actuel de la France n’est pas seulement spatial, il est temporel: quand parviendrons-nous à réconcilier les temporalités?", Gabrielle Halpern

Pour réécouter l'interview: https://www.rfi.fr/fr/podcasts/idées/20250511-gabrielle-halpern-la-bâtisseuse-de-pont-à-l-heure-des-murs

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