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  • Photo du rédacteurgabriellehalpern

Usbek & Rica: Et si l’on avait cette idée folle de réinventer l’école ?


Tribune publiée par Usbek & Rica le 18 juillet 2021


Tous les élèves sont désormais en vacances et cela peut être l’occasion de réfléchir à la manière dont nous pourrions réinventer l’école. Depuis un an et demi, en effet, la crise sanitaire l’a bouleversée et a contraint les équipes pédagogiques et administratives, les parents d’élèves et les élèves à mille adaptations. Nous nous sommes tous sentis démunis et remis en question dans cette expérience. En fermant les écoles, la covid-19 nous a invité à nous interroger, plus que jamais, sur leur sens.


Une initiative dans ce domaine, qui est quasiment passée inaperçue, mérite que l’on s’y intéresse de très près : le petit collège Duplessis-Deville, niché en Haute-Saône, à Faucogney-et-la-Mer s’est transformé en « établissement de services »[1] dans le cadre d’une expérimentation lancée par le département, qui a précédé un appel à manifestation d’intérêt du ministère de l’Éducation Nationale. Concrètement, il s’agit d’ouvrir le collège au territoire et à ses habitants, afin que tous puissent bénéficier de ses infrastructures et de ses espaces. Le collège héberge une épicerie où chacun peut venir acheter une fois par mois des produits frais, issus d’une quinzaine d’exploitations agricoles… Ce sont des élèves volontaires de la classe de 3e qui s’en occupent ! Il est prévu que le Centre de Documentation et d’Information, devienne un espace culturel où tous les habitants peuvent venir consulter, emprunter, acheter des livres ou assister à des conférences. Par ailleurs, il se pourrait que la cantine scolaire se transforme en brasserie rurale pour accueillir tout le monde à l’heure du déjeuner ou encore que les salles de classes s’ouvrent hors du temps scolaire pour des formations pour adulte, notamment autour du numérique.


Cette initiative est d’une très grande portée symbolique : elle est un premier pas vers une métamorphose de l’école, qui ne se définit plus comme un lieu clos où des professeurs transmettent des connaissances aux élèves.


Nous assistons à l’émergence d’une nouvelle définition de l’école, comme écosystème ouvert, comme tiers-lieu où se mélangent les générations, les usages, les intérêts, les apprentissages et les activités.


L’école n’est plus une école ; elle est aussi mille autres choses au service de l’intérêt général de tous les habitants et du territoire, de la culture à l’économie en passant par le lien social. De même, il y a quelques mois, l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône a transformé son théâtre, fermé au public, en salle de classe[2] pour imaginer une autre manière de transmettre des connaissances aux enfants. Une école-théâtre ou un théâtre-école est une belle manière de revenir à l’origine étymologique du mot « école », qui, rappelons-le, vient du grec skolè (σχολη), qui signifiait « arrêt de travail » et du latin schŏla, « loisir studieux »[3]…


Ces initiatives constituent des incarnations magnifiques de l’hybridation accélérée[4] de notre monde à laquelle nous assistons depuis un certain nombre d’années. Oui, une école peut être autre chose qu’une école, elle peut être un théâtre, un restaurant, un jardin, une épicerie, un atelier d’artisanat, une maison d’édition ou même un musée ! L’école hybride, c’est l’école transformée en tiers-lieu, en espace de rencontres, en terreau de mariages improbables…


De nombreux exemples ont jalonné l’actualité en ce sens, et tout récemment, il faut souligner le partenariat[5] entre l’école de commerce, l’EM Lyon et l’Ecole Normale Supérieure de Lyon pour construire une coopération et des échanges académiques entre leurs élèves : ils bénéficieront de formations croisées et de parcours ouverts. Des colloques et des conférences scientifiques communs sont également prévus pour les chercheurs. Il s’agit bien d’hybrider les savoirs et les compétences et d’aider les élèves à adopter un esprit large, interdisciplinaire, essentiel dans le monde de demain.


La série mythique « En thérapie », proposée par Arte il y a quelques mois, faisait dire à l’un de ses personnages : « tu as adhéré à un métier et à la vision du monde qu’il charrie », laissant sous-entendre qu’à tout métier est associée une certaine vision du monde, avec l’enfermement et les biais que cela peut sous-entendre. Non, nous ne verrions pas le monde de la même façon selon que l’on est chimiste, développeur, sociologue ou entrepreneur...


En faisant des mariages improbables, des écoles a priori radicalement différentes peuvent justement briser cette logique de vision du monde parcellaire et montrer à leurs élèves qu’ils pourront en sortir et, tout au long de leur vie étudiante, puis professionnelle, passer d’une vision du monde à une autre ou utiliser l’une pour un métier auquel elle n’était pas destinée pour brouiller les pistes et apporter un regard neuf à la profession. On peut même hybrider plusieurs visions du monde pour s’en forger une, unique ! A quand des partenariats entre des écoles de design et des facultés de droit ? Entre des formations au développement informatique et des formations à l’artisanat ?


Ceux donc qui utilisent le terme d’hybridation pour signifier que c’est « ajouter du numérique à ce que je fais » ou faire du « présentiel et du distanciel » n’ont rien compris à la révolution de l’hybridation, qui ne saurait se réduire à cela!


L’hybridation, c’est le mariage improbable, le contradictoire, l’hétéroclite ; - c’est cette figure mythique du Centaure qui n’entre dans aucune case, qui ne s’enferme pas dans une identité stérile, mais dans une singularité féconde et plastique, et qui, pour exister, a eu besoin de nombreuses métamorphoses. Or, l’école n’est-elle pas précisément le lieu des métamorphoses de l’élève, de l’étudiant, dont les professeurs sont les garants, les aiguilleurs, les initiateurs ? Comme le disait l’un des plus grands intellectuels du XXe siècle, Elias Canetti, « la vie est un éternel rétrécissement » ; pour lutter et résister contre ce rétrécissement, il faudra « jeter son ancre le plus loin possible » !


Voici le dessein de l’école et la mission de ses enseignants que d’apprendre aux jeunes à jeter leur ancre le plus loin possible pour augmenter leur vie et se transformer un jour en centaures !


[1] https://www.lagazettedescommunes.com/742904/la-haute-saone-veut-faire-de-tous-ses-colleges-des-etablissements-de-services/ [2] https://www.franceinter.fr/emissions/coulisses/coulisses-01-mai-2021 [3] Source CNRTL : https://cnrtl.fr/etymologie/école [4] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020. [5] https://masters.em-lyon.com/fr/emlyon-business-school-et-lecole-normale-superieure-de-lyon-ens-de-lyon-annoncent-un-partenariat-de

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