Tribune de Gabrielle Halpern
"Alors que le président de la République Emmanuel Macron vient de changer de premier Ministre en la personne de Gabriel Attal, ce début d’année peut être l’occasion de réfléchir au sens de l’action publique. A quoi sert-elle ? A répondre aux besoins des citoyens ? A les anticiper ou à les transformer ? A construire les conditions de vie des citoyens ?
Cette question est d’autant plus difficile à résoudre que les citoyens constituent une catégorie complexe. D’ailleurs, il est intéressant d’observer un usage moins fréquent du terme de citoyen depuis plusieurs décennies, au profit de mots qui s’inscrivent dans d’autres logiques : contribuable, habitant, usager, bénéficiaire, travailleur, riverain, électeur, consommateur. Chaque terme désigne l’une des facettes du citoyen, - l’une de ses temporalités également -, provoquant alors un risque de conflits et de contradictions : ce qu’un consommateur veut peut être contradictoire avec ce que souhaite un travailleur, de la même manière qu’un citoyen et un riverain peuvent avoir des intérêts divergents…
Ces différentes nuances laissent également croire qu’il s’agit d’une distinction d’avec le citoyen, alors que tous ces termes, - contribuable, habitant, usager, bénéficiaire, travailleur, riverain, électeur, consommateur -, font tous partie de ce que signifie être un citoyen. Les nouvelles politiques publiques doivent donc être des politiques publiques hybridant ces différentes manières d’être citoyen, au lieu de jouer sur leur distinction, leurs contradictions et leurs conflits potentiels. Penser le pouvoir d’achat indépendamment du travail ; la liberté indépendamment de la sécurité ; l’écologie indépendamment de l’économie, risque de mutiler les enjeux et de créer des politiques publiques au mieux inefficaces, au pire aux effets particulièrement pervers, avec la création de nouvelles fractures. Alors comment hybrider les politiques publiques ?
Chaque projet, chaque initiative, chaque service public devrait être évalué à l’aune de sa capacité d’hybridation avec d’autres projets, initiatives, services, politiques publics. Cela signifie que l’action publique a un rôle créatif : on attend d’elle qu’elle imagine le dépassement des injonctions contradictoires auxquelles sont soumis les citoyens, comme les territoires. La véritable question à se poser face à une politique publique ou face à un programme politique n’est donc pas tant de savoir à quel parti ou courant idéologique il appartient, mais plutôt quel degré d’hybridation entre les mondes (industrie, société, territoire, culture, agriculture, artisanat, numérique, etc.), il est parvenu à imaginer et s’engage à mettre en œuvre. Cela suppose de renouer avec l’idée d’imagination et de la considérer comme une véritable valeur politique.
Si l’action publique se réduit à « être en réaction » face à des citoyens-consommateurs quémandant une solution pour chaque intérêt particulier, elle perdra de sa légitimité, non pas au sens propre, mais au sens figuré, elle passera à côté de l’exercice de ses compétences et elle ne saura assumer la responsabilité qui est la sienne de l’intérêt général. In fine, il n’y aura plus d’action publique, à proprement parler. C’est à l’aune de son degré d’imagination à concevoir de nouveaux projets de transport, de développement d’énergies, de services publics pluriels, d’événements fédérateurs que l’action publique devra être jugée. C’est l’imagination en tant que valeur politique retrouvée qui formera la base d’un sentiment d’appartenance renouvelé de la part des citoyens et de confiance en leur avenir. Monsieur le Premier Ministre, osez l’hybridation !"
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