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Radio RCJ: "Réarmement démographique: Où nos fécondités se trouvent- elles ?"


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


"Marguerite Yourcenar a déposé ces mots dans la bouche de l’empereur Hadrien, au seuil de sa vie : "Je n’ai pas d’enfants et ne le regrette pas. Certes, aux heures de lassitude et de faiblesse, où l’on se renie soi-même, je me suis parfois reproché de n’avoir pas pris la peine d’engendrer un fils, qui m’eût continué. Mais ce regret si vain repose sur deux hypothèses également douteuses : celles qu’un fils nécessairement nous prolonge et celle que cet étrange amas de bien et de mal, cette masse de particularités infimes et bizarres qui constitue une personne, mérite d’être prolongé. J’ai utilisé de mon mieux mes vertus ; j’ai tiré parti de mes vices ; mais je ne tiens pas spécialement à me léguer à quelqu’un. Ce n’est point par le sang que s’établit d’ailleurs la véritable continuité humaine"[1].


Nous pourrions penser qu’en cette deuxième décennie du XXIe siècle, tous les sujets autrefois tabous ont été levés. Et pourtant, il en demeure un qui semble persister à titiller notre société : à savoir, le choix de ne pas avoir d’enfant. Comme par un réflexe de survie, beaucoup d’êtres humains ne comprennent pas, ne conçoivent pas, même, qu’il soit possible de ne pas vouloir d’enfant. Toutes les excuses, tous les arguments, tous les prétextes, toutes les raisons, quels qu’ils soient, semblent d’emblée discrédités, illégitimes. "Vous avez des enfants ?". Par cette question, si souvent posée, presque aussi naturellement qu’un "Comment allez-vous ?", c’est comme si chacun cherchait à se rassurer, à s’assurer que nous allons bien tous participer à la perpétuation de l’espèce, à la continuité d’un collectif, à l’évidence du sens de la vie.


Et si le sens de la vie se trouvait ailleurs ? Et si la continuité du collectif se jouait autrement ? Une phrase frappante de Françoise Giroud, découverte dans sa biographie de l’extraordinaire femme de lettres Lou Andreas-Salomé laisse songeur : "Et puis il y a des femmes qui décident de réserver à d’autres aspects de la vie toutes leurs facultés de création et d’amour"… L’art, l’écriture ou encore la pensée ne sont-elles pas des terres de fécondité nécessitant tout le temps, toute l’énergie, tout l’amour qu’elles méritent ? Si l’on parle toujours des regrets de ceux qui ont choisi de ne pas avoir d’enfant, ne devrait-on pas tout autant parler des remords de ceux qui ont choisi d’en avoir[2] ?


"Au lieu de faire quelque chose toi-même, tu cherches à te perpétuer dans un enfant", écrivait Robert Musil[3]. Cruel comme déclaration, n’est-ce pas ? Mais que nous soyons parents ou non, elle devrait nous faire collectivement réfléchir".



[1] Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, Gallimard, 1974, p. 273. [2] Orna Donath, Le regret d’être mère, Odile Jacob, 2019. [3] Robert Musil, L’homme sans qualités, Seuil, 1995.


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