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Radio RCJ: Prospective ou imagination?


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


« Les dernières décennies ont vu affluer de nombreux « prospectivistes » qui définissent leur métier ou leur expertise comme l’art de lire dans le passé ou le présent pour mieux anticiper l’avenir, en partant du postulat suivant : ce qui a été sera et l’Histoire n’est qu’un éternel recommencement. C’est ainsi que des méthodes de prospective se sont démultipliées avec la production massive de « scénarios » censés prédire l’avenir. L’intelligence artificielle générative est d’ailleurs basée sur la même démarche probabiliste à partir de ce qui existe ou a existé…

 

Or, cette conception passéiste de la prospective a eu deux conséquences néfastes : la première conséquence consiste dans le fait que cette prospective nous enferme dans le passé et que chaque décision se prend en fonction du passé, entretenant ainsi une relation pathologique au temps. Le drame de notre époque est justement que nous soyons sans cesse en train de chercher le sens de notre action dans le passé, comme si le rôle du passé consistait à être une grille de lecture et une justification du présent et du futur[1]. Par exemple, la plupart des plumes politiques, celles qui écrivent les discours pour le compte des décideurs publics, sont des historiens. En tant qu’historiens, ces plumes s’attachent à inscrire systématiquement telle ou telle politique publique, telle ou telle décision, tel ou tel message, dans et par rapport à l’Histoire. Les discours étant censés donner du sens à l’action politique, il est regrettable que le sens soit sans cesse cherché dans le passé. Donner la plume politique à des historiens n’est pas neutre et cela revient à s’empêcher tout simplement d’aller chercher le sens dans l’avenir. Dans de telles conditions, avec un tel culte du passé, considéré comme omnipotent, comment donner aux citoyens le goût de l’avenir ?  

 

La seconde conséquence consiste dans le fait que nous ne savons pas apprendre de nos erreurs : à force d’être convaincus que « ce qui a été sera », nous sommes condamnés à revivre le passé. Cette prospective passéiste entretient donc les identitarismes et les communautarismes passés, les luttes de pouvoir des élus et le désespoir de nos concitoyens. Si l’action publique veut retrouver du sens, elle doit rompre immédiatement avec cette conception malsaine de la prospective et écrire le scénario qu’elle veut proposer aux citoyens. Au lieu de chercher à prédire ce qu’il va se passer, - personne ne le lui demande -, elle doit faire advenir ce qu’elle souhaite voir advenir. L’action publique doit retrouver de la volonté politique et faire de l’imagination la première valeur politique si elle veut être à la hauteur de ce que les citoyens attendent d’elle ».


[1] Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Eloge de l’hybridation, Le Pommier, 2020.




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