Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité
Je ne sais pas si vous vous amusez à faire ce petit jeu, mais tous les ans, au moment où l’année se termine et où la nouvelle commence, il est intéressant de s’interroger sur les mots de son année. Chaque année nous invite à de nouveaux mots, selon les défis, les obsessions, les problématiques, les responsabilités que chacun rencontre.
Ce dictionnaire très personnel est passionnant à feuilleter mentalement, avec ses mots qui disparaissent d’une année à l’autre et ce vocabulaire inédit qui fait une entrée impromptue. Avec les mots qui disparaissent, c’est une part de nous-mêmes qui vient s’enfouir dans les strates de notre esprit ; avec les mots qui apparaissent, comme un tableau pointilliste, c’est un nouveau visage qui se distingue peu à peu et que l’on arbore.
Il est tout aussi intéressant de se poser la question des mots de l’année à l’échelle collective. C’est ce que la journaliste et écrivain Olivia Elkaïm dans le magazine La Vie[1] a fait au crépuscule de 2021, en relevant des mots ou expressions comme : distanciation sociale, gestes barrières, cas contact, distanciel, présentiel ou encore confinement. En analysant ces mots, on remarque que la plupart d’entre eux relèvent de la relation à l'autre, du rapport à l'autre.
Ce n'est pas anodin, car notre époque, plus peut-être que toutes les autres, interroge notre relation à l'autre. Quelle est la juste relation? Quelle est la juste distance? Les nouvelles technologies créent une forme de proximité, une immédiateté, qui rendent la distance sociale et physique floue. L'un des plus grands intellectuels du XXe siècle, Elias Canetti, écrivait dans Masse et Puissance qu'"il n'y a rien que l'être humain redoute le plus que le contact avec l'inconnu, tous ses comportements, toutes ses distances sont dictés par cette phobie du contact". La covid-19 a accentué cette phobie et a donc interrogé le rapport, la juste proximité, la juste distance à l'autre.
Nous n’en avons hélas pas fini avec ces mots, - la covid-19 poursuivant ses variations et ses mutations -, et ce vocabulaire pourrait bien continuer à exprimer l’année 2022, même si un autre champ lexical, politique, le concurrencera avec ses élections, ses urnes, ses meetings, ses votes, ses défaites et ses victoires…
Mais si de nombreux mots nous sont imposés par la conjoncture, par les autres, par la société, par notre environnement, par notre travail, par nos problèmes, il nous appartient, individuellement, d’introduire dans notre bouche des mots qui mettront du baume au cœur des autres et qui nous rendront meilleurs. Chacun d’entre nous nous n’est-il pas maître de ses mots, après tout ?
[1] https://www.lavie.fr/actualite/pandemie-gestes-barrieres-distanciel-comment-le-covid-a-t-il-modifie-notre-maniere-de-parler-79678.php
Comments