Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
"A l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, je souhaiterais partager avec vous une lecture qui m’a beaucoup marquée. Il s’agit du livre de Virginia Woolf : « Un lieu à soi ».
Dans cet essai, l’écrivain britannique se demande comment il se fait que les femmes aient une place si petite dans la littérature. Progressivement, elle nous entraîne avec elle dans l’hypothèse selon laquelle les femmes n’ont pas vraiment pu écrire au cours des siècles précédents, puisqu’il leur manquait quelque chose d’essentiel : « un lieu à soi ». Cela semble tout bête, mais le fait, dans la maison ou dans l’appartement, de ne pas pouvoir disposer d’un lieu où l’on n’est pas dérangé, est difficilement conciliable avec le désir d’écrire. Avoir un lieu à soi pour penser, pour imaginer, pour construire ; un lieu pour être seul avec soi.
La force de Virginia Woolf est de nous faire passer du lieu physique au territoire intérieur. Le problème pour les femmes n’était pas seulement le fait qu’elles ne disposaient pas de lieu à elles, mais aussi qu’elles n’avaient ni le temps ni la disponibilité d’esprit pour avoir un territoire intérieur. S’occuper du ménage, de la maison, des enfants : impossible d’avoir un territoire intérieur dans un entrelacs de telles contraintes ! Aujourd’hui, on parlerait de « charge mentale ». Et puis, bien sûr, il y avait l’aspect financier : pour écrire, il faut avoir une forme d’indépendance financière, indépendance qui manquait aux femmes.
Mais loin de Virginia Woolf l’idée d’opposer les femmes aux hommes… Au contraire, pour elle, dans chaque être humain, s’entremêlent, s’hybrident une féminité et une masculinité. Woolf dit d’ailleurs qu’un homme écrivain, qui écrirait seulement avec son cerveau d’homme ferait de la petite littérature et pareillement pour une femme écrivain, qui écrirait avec son cerveau de femme. Le grand écrivain, celui qui entre dans l’Histoire et dont l’œuvre est intemporelle, est celui qui utilise toutes ses facultés masculines et féminines. C’est celui qui dépasse ces particularismes aliénants et qui aspire à l’universel.
On pourrait dire la même chose des philosophes. Le fait d’avoir été une femme n’a rien à voir avec la force de la philosophie d’Hannah Arendt ; le fait d’avoir été un homme n’a rien à voir avec la pensée de Friedrich Nietzsche. Ils pensaient en philosophes !
Le poète Samuel Coleridge a tout résumé dans cette formule extraordinaire : « le grand esprit est androgyne » ! Chacun d’entre nous doit essayer de dépasser ce qu’il est pour espérer atteindre une forme d’universalité".
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