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Radio RCJ: Egalité de parole ou égalité d’écoute ?


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


L’émergence des réseaux sociaux a multiplié le nombre d’acteurs dans le débat public. Ce ne sont plus seulement les personnalités publiques traditionnelles, tels que les hommes politiques, les experts ou les éditorialistes qui s’expriment, ce sont désormais aussi des personnes jusque-là « privées » qui donnent leur point de vue. Puisque chaque événement peut potentiellement être commenté publiquement par tout un chacun, la notion même de « personnalité publique » semble désuète et inadaptée. Tout le monde, - et non plus seulement quelques-uns, peut s’indigner publiquement d’une agression dans le métro sur Facebook. Tout le monde, - et non plus seulement les critiques d’art -, peut donner un point de vue sur une pièce de théâtre, un livre ou un concert, sur Twitter. Tout le monde, - et non plus seulement des chercheurs en géopolitique ou le ministre des Affaires étrangères -, peut s’exprimer publiquement sur la marche du monde, sur Youtube.


« Tout le monde est une personnalité publique »[1] !


On pourrait s’en indigner, mais on pourrait aussi relire le livre de Jacqueline de Romilly : L’élan démocratique dans l’Athènes ancienne. L’helléniste y décrit le fonctionnement de la démocratie à Athènes et à l’heure où tout le monde a le mot « démocratie » à la bouche, cette lecture se révèle salutaire.


Qu’est-ce que signifiait la démocratie pour les Athéniens ? Jacqueline de Romilly explique que la démocratie d'alors était une "iségoria", selon le mot d’Hérodote, c'est-à-dire « l'égalité de la parole », le droit à la parole. Pour réfléchir à la vie de la Cité, il fallait bien s’exprimer et c’est par cette égalité de parole que la démocratie s’incarnait. Le droit de parler déteignait sur toute l’attitude des citoyens.


« Tout était en place pour que se développent un art de la parole et un art de la discussion politique »[2], écrit Jacqueline de Romilly et la parole constituait « le moyen même de toute civilisation et de tout progrès ».


Cela paraît anodin, mais ce droit à la parole provoquait : le désir de bien parler et le désir d'écouter, l'art de comprendre et de commenter et la fin de la violence. Cela provoquait aussi une forme d’émulation positive, puisque chacun cherchait à parler mieux que les autres.


Aujourd’hui, alors que chacun a repris ses droits en termes de prise de parole, personne ne devrait oublier que l’égalité de la parole est inséparable de la liberté de l’écoute. Sans cela, il n’y a pas de démocratie !

[1] Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Eloge de l’hybridation, Le Pommier, 2020. [2] Jacqueline de Romilly, L’élan démocratique dans l’Athènes ancienne, Editions de Fallois, Paris, 2005.


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