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Radio RCJ: "Avoir la rage d’exister !"


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


"J’aimerais partager avec vous une phrase que j’ai entendue ces derniers jours et qui m’a beaucoup interpellée. Elle a été prononcée par une femme de 102 ans et demi. Elle tient beaucoup à la mention « et demi », donc voilà pourquoi je la précise. Cette phrase, la voici : « Je n’existe pas comme je voudrais exister »… « Je n’existe pas comme je voudrais exister ».

 

Bien sûr, si l’on interprétait rapidement cette phrase, on dirait qu’étant une personne très âgée, il lui est difficile d’exister comme elle le voudrait, avec la vélocité et l’énergie de la jeunesse qui lui faisait parcourir le monde, boutonner sa veste en 4 secondes chrono et découper sa tranche de beefsteak en deux coups de cuillère à pot ! La vieillesse étant alors vue comme une dénaturation de l’existence autrefois vécue, comme un rétrécissement de l’existence rêvée ou comme une limitation de l’existence voulue.

 

Mais je me méfie toujours des interprétations rapides, - déformation professionnelle oblige -, et j’aimerais réfléchir avec vous en y prenant le temps requis. « Je n’existe pas comme je voudrais exister »… Il y a mille questions embrassées dans cette phrase. Existe-t-on toujours comme on voudrait exister ? N’existe-t-on d’ailleurs jamais comme on le voudrait ? Vous existez, vous, comme vous voudriez exister ? Et puis, d’abord, comment existez-vous et comment souhaiteriez-vous exister ? Et puis surtout, serait-ce vraiment une bonne chose d’exister comme nous le voudrions ?

 

Il me semble que l’essentiel de la vie réside précisément dans cet écart, dans cet abîme peut-être, qui sépare la manière dont nous existons et celle dont nous voudrions exister. Oui, toute la vie réside sans doute dans ce creux que nous mettons toute notre énergie à combler. C’est ce creux qui nous donne envie de nous lever le matin, de nous battre contre tous les obstacles, de déplacer les montagnes et de défoncer les portes qui ne s’ouvrent pas. C’est ce creux qui nous sert de boussole quand nous ne savons pas quel choix faire dans la vie ; ce creux, encore, qui nous donne confiance en nous quand tout notre entourage est dubitatif ; ce creux, encore, qui fait de nous-mêmes notre propre adversaire contre lequel nous devons nous battre tous les jours. C’est ce creux qui nous donne la rage d’exister ! C’est ce creux, encore et toujours, qui peut balayer tous les « à-quoi-bon ? », tous les « tout-est-fichu » et tous les « c’est-déjà-trop-tard » !

 

Je connais une femme de 102 ans et demi, qui, dans ses efforts pour remettre en place la mèche blanche de ses cheveux, pour attacher un à un chaque bouton de sa veste sans demander de l’aide, pour lire les gros livres trop lourds pour ses mains et écrits en trop petit pour ses yeux, lutte pour exister comme elle voudrait exister. Cette femme, c’est ma grand-mère et j’ai encore beaucoup à apprendre d’elle. Ce n’est pas avec les autres, c’est avec soi-même d’abord qu’il faut être exigeant si l’on veut exister".




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