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Radio RCJ: "Le grand esprit est androgyne!"

Dernière mise à jour : 8 mars 2023


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


Une fois n’est pas coutume, je souhaiterais partager avec vous une réflexion émanant d’une expérience personnelle. Si je me permets de vous la raconter, c’est parce que je sais que cette expérience personnelle, n’a en réalité rien de personnel, et que beaucoup d’autres malheureusement, l’ont vécue également. Il y a quelques semaines, j’ai été invitée à un déjeuner professionnel par deux hommes. Je pensais que ce déjeuner, serait un moment d’échange dense autour de questions de société, de culture et d’engagement ; mais si je suis entrée à ce déjeuner en philosophe, j’en suis ressortie en femme. Durant tout le repas, mes deux congénères m’ont en effet sans cesse rappelée, par des phrases, par des comportements, par des regards, par leurs monologues, que j’étais une femme. Non pas que je l’avais oublié, mais depuis que je suis née, j’ai consacré tous mes efforts, tout mon temps, toute mon énergie, à travailler dur et à construire pas à pas, jour après jour, nuit blanche après nuit blanche, mes travaux de recherche en philosophie. J’en veux à tous ceux qui me rappellent que je suis une femme, alors que mon sexe ne devrait pas entrer en ligne de compte.


Cela ne m’intéresse pas d’être considérée comme une femme, cela ne m’intéresse pas d’être interrogée, invitée, appréhendée en tant que femme. Ce qui m’intéresse, c’est de penser le monde en tant que philosophe. Ce qui m’intéresse, c’est de sortir, c’est de m’échapper de tous les particularismes qui me menacent, et de tenter, à force de travail, d’atteindre et de construire quelque chose d’universel.


À force de parler des femmes et des hommes, de « celles-et-de-ceux », des « Françaises et des Français », « des citoyennes et des citoyens », nous perdons complètement l’idée d'universalité. Le sujet n’est pas de savoir si l’on est homme ou femme ; ce qui compte, c’est de faire une œuvre ou une action universelle.


Dans son essai « Un lieu à soi », Virginia Woolf explique qu’un homme écrivain, qui écrirait seulement avec son cerveau d’homme, ferait de la petite littérature, et pareillement pour une femme écrivain, qui écrirait avec son cerveau de femme. Le grand écrivain, celui qui entre dans l’Histoire et dont l’œuvre est intemporelle, est celui qui utilise toutes ses facultés masculines et féminines. C’est celui qui dépasse ces particularismes aliénants et qui aspire à l’universel. On pourrait dire la même chose des philosophes. Le fait d’avoir été une femme n’a rien à voir avec la force de la philosophie d’Hannah Arendt ; le fait d’avoir été un homme n’a rien à voir avec la pensée de Friedrich Nietzsche. Ils pensaient en philosophes ! Le poète Samuel Coleridge a tout résumé dans cette formule extraordinaire : « le grand esprit est androgyne » ! Chacun d’entre nous doit essayer de dépasser ce qu’il est, pour espérer atteindre une forme d’universalité.


Quand allons-nous arrêter de rappeler aux femmes qu’elles sont des femmes ? Quand allons-nous arrêter de nous assigner à résidence d’un sexe, d’un genre ? Quand allons-nous arrêter de nous enfermer dans une case aussi absurde ? Quand allons-nous arrêter avec ces étiquettes ridicules qui nous rapetissent, nous divisent et nous rétrécissent ?


Combien sommes-nous à avoir vécu cette situation ? Combien sommes-nous à avoir été réduites ainsi ? De combien de déjeuners, de réunions, de rendez-vous sommes-nous sorties en ayant été enfermées par des regards réducteurs ? Combien sommes-nous à avoir cru que nous pouvions oublier que nous sommes des femmes ?


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