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Radio RCJ: « Élections législatives : Quand le savoir devient absurde »


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


« Marignan 1515! Combien sommes-nous à avoir appris par cœur la date de cette bataille, durant nos jeunes années scolaires, pour avoir une bonne note à notre interrogation? Cette date ne nous sert plus à grand-chose aujourd’hui, alors que nous sommes devenus adultes, et elle est remisée dans un petit tiroir de notre mémoire, devant sa longévité à la facilité mnémotechnique de la répétition du 15 de 1515! 

 

Depuis 1515, de l’eau a coulé sous les ponts; beaucoup de sang aussi et l’actualité quotidienne réveille chaque jour cette même question: nous avons été de bons élèves, mais à quoi cela nous a-t-il servi? Sommes-nous de bons citoyens? Le philosophe Jean-Jacques Rousseau, en son temps déjà, dénonçait cette éducation de singe savant que nous dispensons à la jeunesse dans les écoles, que « l’on élève à grands frais pour lui apprendre toutes choses excepté ses devoirs » : « magnanimité, tempérance, humanité, courage ».

 

Le XXe siècle a été, si j’ose dire, l’expérimentation et la preuve de la vanité de la culture et du savoir, puisque, rappelons-le, la langue allemande, qui était la langue de la philosophie par excellence, est devenue la langue de la Shoah. L’art, la culture, l’éducation n’ont pas permis d’empêcher la barbarie; ce qui signifie qu’un esprit cultivé et éduqué ne suffit pas. Il faut que les esprits cultivés soient aussi courageux et bons. 

 

Nous touchons là le cœur du sujet: le savoir pour le savoir est absurde, le savoir « parce que c’est au programme » est absurde! Nous avons tant séparé le savoir de son sens que nous l’avons fait tomber dans l’absurdité. A quoi cela sert-il de faire des dictées depuis des décennies pour enseigner la grammaire et l’orthographe aux enfants quand ces dictées terminent leur vie à la poubelle à la fin de l’année? Cela ne donnerait-il pas du sens à la grammaire et à l’orthographe de faire écrire des lettres aux enfants pour les personnes âgées de la maison de retraite en face de l’école? Yasmina Reza écrit dans son roman « Serge »: « Il n’y a rien à attendre de la mémoire. Un savoir qui n’est pas intimement relié à soi est vain ».

 

A quoi cela sert-il de bourrer le crâne des écoliers avec des dates laborieuses de la Seconde Guerre Mondiale qui se confondent et s’entremêlent? Cela n’aurait-il pas davantage de sens de les emmener à Oradour-sur-Glane, à Auschwitz et sur les plages du débarquement? A quoi cela sert-il d’apprendre par cœur les propriétés chimiques des éléments, ne faudrait-il pas mieux apprendre aux enfants à entretenir un potager et à cuisiner? Les humanités comme les sciences les plus dures sont absurdes si elles ne sont pas sans cesse reliées au réel.

 

La bonne nouvelle est que le développement de l’intelligence artificielle générative va nous contraindre à repenser le but de nos apprentissages, le sens de nos savoirs, l’utilité de notre érudition. Puisque nos outils sauront bientôt tout, allons-nous enfin avoir le courage et la bonté d’être des citoyens? »




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