
Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
« Entre autres choses, les élections européennes nous interrogent sur la question de la relation entre les pays européens. D’ailleurs, dans la vie, en règle générale, la question, le sujet, le problème est toujours la question de la relation à l’autre, qu’il s’agisse de la relation à une autre personne, à un autre pays, à une autre entité. C’est la question essentielle qui nous concerne tous et qui a des implications politiques, sociales, familiales, professionnelles ou encore territoriales. Quelle est la juste relation à l’autre ?
Cette question est au cœur de mes travaux de recherche sur l’hybridation, puisque la philosophie de l’hybridation est une éthique de la relation à l’autre. Pour y répondre, la figure du centaure, mi-homme et mi-cheval, qui est la figure emblématique de mon travail, est très utile. Dans le centaure, quelle est la relation entre la partie humaine et la partie chevaline ? Sont-elles dans une relation de fusion où l’on ne sait plus qui est qui ? Sont-elles dans une relation de juxtaposition où elles coexistent, mais chacune mène sa propre vie dans l’indifférence de l’autre ou sont-elles dans une relation d’assimilation, c’est-à-dire qu’il y a une partie qui essaie de prendre le pas sur l’autre et de la faire disparaître?
Si l’on transpose cette réflexion aux questions diplomatiques, cela se traduirait ainsi :
La première diplomatie est celle du miroir : deux pays se comparent dans le but d’effacer leurs différences et de se ressembler… C’est la rencontre d’uniformisation qui mène à la fusion, donc à une forme de disparition de la singularité des deux pays ;
La deuxième diplomatie est celle de la juxtaposition : deux pays coexistent, dans l’indifférence de la relativité. C’est la rencontre qui n’a pas lieu;
La troisième diplomatie est celle de l’assimilation ou de la confrontation : deux pays entrent en concurrence avec l’ambition de faire disparaître l’autre, en l’assimilant. C’est la rencontre qui anéantit l’autre.
Aucune de ces diplomaties n’est la bonne ; or, si vous prenez beaucoup d’exemples actuels ou passés de la diplomatie, vous constaterez que beaucoup se classent dans l’une ou l’autre de ces catégories, comme s’il n’y avait que trois manières pour des cultures, des pays, des êtres, de se rencontrer.
Or, l’hybridation, justement, ce n’est ni la fusion, ni la juxtaposition, ni l’assimilation ; le centaure n’entre dans aucun de ces pièges. Il existe une quatrième voie, qui est que j’appelle la « métamorphose réciproque » [1]: c’est-à-dire que pour obtenir un centaure, il ne suffit pas de mettre un homme sur un cheval, mais il faut que chacune des parties fasse un pas de côté pour aller vers l’autre, se métamorphose au contact de l’autre, et alors seulement il y aura rencontre.
La tierce-diplomatie par l’hybridation peut faire émerger une nouvelle géopolitique. Il ne s’agit ni de fusionner, ni de coexister sans se voir, ni de s’affronter ; mais de s’hybrider, c’est-à-dire d’imaginer une combinaison permettant de se transformer et de se féconder l’un l’autre sans menacer la singularité de chacun. Cette géopolitique de l’hybride pourrait peut-être permettre de repenser les bases des relations entre les pays européens.
Comment penser l’hybridation de l’Europe ? Cela constitue l’un des défis politiques majeurs des prochaines années »…
[1] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Éloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020.
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