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Philonomist: "Quand L’Odyssée nous fait accueillir l’hybride"...

Dernière mise à jour : 30 avr.


La philosophe Gabrielle Halpern a participé au dossier du média Philonomist consacré à l'Iliade et à l'Odyssée, en s'interrogeant sur la figure du monstre dans l'oeuvre d'Homère.


Extrait:

"Mircea Eliade écrivait que le mythe est « une histoire inventée pour répondre à une question ou à une angoisse ». La question qui se pose alors est la suivante : de quelle angoisse l’Odyssée est-elle le nom ? A quelle question l’épopée d’Ulysse répond-elle ? Il semblerait que ce soit dans les personnages qu’il rencontre qu’il nous faille aller creuser… Quel est le point commun entre les Lestrygons, Charybde, les Sirènes, Scylla ou encore le Cyclope ?


Si Homère s’attache à les rendre tellement distinctifs qu’ils en deviennent caricaturaux, tous ces monstres rencontrés par Ulysse partagent une même caractéristique : aucun n’entre dans nos cases, - les Lestrygons sont trop grands, le Cyclope n’a qu’un œil, pour ne prendre que ces deux exemples. L’auteur de l’Odyssée les rend délibérément difformes, menaçants, terribles, méchants et donc haïssables.


Le fait que le texte les décrive comme d’horribles créatures dit beaucoup de notre imaginaire, de notre rapport à ce et à ceux qui sont insaisissables, différents, autres. C’est comme s’ils excédaient les pouvoirs de notre rationalité, n’étant ni assimilables, ni identifiables, ni classables. Or, notre raison étant une véritable usine de production massive de cases, il n’y a rien qui l’effraie plus que ce ou ceux qu’elle ne peut étiqueter, trier et ranger.


L’anormalité comportementale ou physique de ces monstres est une forme de transgression, puisqu’étant différents du commun des mortels, nul ne sait à l’avance comment ils vont réagir…


L’un des plus grands philosophes du XXe siècle, Elias Canetti écrivait que l’être humain redoute plus que tout au monde le contact de l’inconnu, et que toutes les distances, tous les comportements qu’il adopte, sont dictés par cette phobie du contact. Or, cet inconnu, cette altérité radicale, cette différence irréductible sont ce que ces monstres représentent. En un mot, ils sont « hybrides ». L’hybride, c’est l’hétéroclite, le contradictoire, l’incasable ; ce n’est ni la juxtaposition, ni la fusion, c’est le fruit de plusieurs métamorphoses qui ont conduit à un mariage improbable. Hybride vient du latin hybrida, qui signifie « bâtard, de sang mélangé ». En contradiction avec la logique et son principe de tiers-exclu, l’hybride est le tiers-inclus… De deux choses l’une ? Non ! Deux choses en font naître une tierce…


Si ce sont précisément des créatures hybrides qui sont envoyées à Ulysse, c’est peut-être pour le faire réfléchir, pour qu’il se remette en question.


L’Odyssée apparaît comme le récit d’une autre guerre ; celle qu’Ulysse va devoir mener avec lui-même, contre lui-même. Face à ces monstres, le héros tente d’opposer son « identité »… N’entend-il pas rentrer chez lui comme si rien n’avait changé ? Illusion de nombre d’entre nous qui pensons que notre identité existe et qu’elle est une, immuable et définitive. Ce long voyage va apprendre à Ulysse que la vie est tout autre, que cette identité qu’il entendait conserver en vain comme dans un bocal est une chimère et qu’il va devoir accepter des hybridations successives s’il veut poursuivre sa route. Il commence à le comprendre au moment où il fuit avec son navire, de peur d’être changé en pierre par le fantôme de Gorgo… La pierre, symbole de l’identité figée !"


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