Une tribune publiée par le média Usbek et Rica, le 30 avril 2021
Il est fini le temps où une école était une école, un théâtre était un théâtre, un restaurant était un restaurant… Même si un chat restera toujours un chat ! Nous assistons à un processus d’hybridation accélérée de notre monde, qui devient la grande tendance de notre temps. Preuve que nous en avons (presque) fini avec notre angoisse face à ce qui n’entre pas dans nos cases ; une angoisse, qui nous a conduit, pendant des siècles[1], à ignorer, voire à rejeter tout ce qui, dans la réalité, pouvait sembler de près ou de loin hybride, c’est-à-dire hétéroclite, contradictoire, incasable. Une angoisse, que nos ancêtres de l’Antiquité grecque, ont incarnée dans la figure du Centaure[2], - figure hybride, par excellence -, presque toujours décrite, dépeinte ou sculptée comme menaçante. Ce qui est hybride nous veut-il du mal ? C’est ce dont nous avons été persuadés pendant longtemps. Alors que nous voyions le monde sous le prisme de l’identité et de l’homogénéité, nous commençons enfin à comprendre combien l’hybridation peut être une véritable chance pour notre société et pour ceux qui l’habitent.
Oui, il y a d’autres manières d’aborder le monde que de le ranger dans des cases ; on peut entrecroiser des choses, des métiers, des activités, des personnes, des intentions, des imaginaires, des identités, des intérêts, radicalement différents, voire contradictoires, et de là peut naître une extraordinaire créativité ! C’est tout le sens des « tiers-lieux », au sens large. Ces lieux sont profondément hybrides, puisqu’ils mêlent, - au lieu de compartimenter ou de juxtaposer, comme cela se fait ailleurs -, des activités très hétérogènes et des individus très divers. Ils bouleversent nos catégories, - et même toute notre logique -, puisque nous ne sommes pas habitués à voir en un même lieu des mondes, des logiques et des personnes aussi différents. Peu importent les préjugés que sont la cohérence, l’identité et les contradictions, ici, ce sont l’équilibre, le dialogue et la pérennisation d’un « commun », qui prévalent. La contradiction y est acceptée, parce qu’elle est féconde, tandis que l’identité y est bannie, parce qu’elle est stérile et qu’elle crée des murs là où il faudrait plutôt dessiner des ponts. Ces tiers-lieux exigent de nous que nous sortions de nos catégories pour les accueillir et les comprendre ; nos vieux placards de rangement sont totalement dépassés ! Mélangeons la culture, le commerce, le soin, la recherche, le jeu et le sport ! Métissons les artisans, les startupers, les personnes âgées, les artistes, les industriels et les professeurs !
Il est temps de transformer les lieux en points de repères ! Évidemment, pour que cela fonctionne, chacun devra sortir de lui-même et faire un pas de côté pour faire un pas vers l’autre… Finies les sociétés industrielle et servicielle, place à la société de la relation, la société de l’hybridation ! Puisque le processus d’hybridation accéléré auquel nous assistons touche tous les domaines de notre vie : les manières de construire, de consommer, de commercialiser, d’habiter, de travailler, de se former, d’aménager un territoire ou encore de se cultiver, nous pouvons dire que demain, tous les lieux seront des tiers-lieux ! Une tendance qui va obliger les politiques publiques, les normes et les réglementations, - basées sur une pulsion d’homogénéité -, à se réinventer de fond en comble. C’est en ce sens, aussi, que nous pouvons dire que demain, l’économie sera sociale et solidaire ou ne sera pas ! Une tendance qui va obliger toutes les parties prenantes à se réinventer de fond en comble. Le grand défi sera alors de travailler sans relâche pour qu’il y ait, non pas simple juxtaposition, mais véritable hybridation de tous ces mondes.
[1] Gabrielle Halpern, Penser l’hybride, Thèse de doctorat en philosophie, 2019. [2] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020.
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