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Tribune de Gabrielle Halpern dans La Tribune Dimanche: « Pour que l'allongement de la vie ait un sens » !


Alors que le journal La Tribune Dimanche a préparé un dossier spécial sur la question de l'allongement de la durée de la vie, la philosophe Gabrielle Halpern a pris la parole, afin de partager avec les lecteurs son regard sur cette question, en expliquant ce qui, selon elle, permettrait de donner du sens à ces années supplémentaires.


(Extrait) « Alors que les progrès médicaux permettent d’allonger la durée de la vie, il semble que nous n’ayons pas pris conscience de tout ce que cela pourrait changer dans nos vies, nos activités, nos sociétés et même, notre humanité. Nous luttons contre le temps qui passe et nous repoussons sans cesse la mort, comme pour contourner les malédictions divines : en effet, dans la Bible, les êtres humains sont condamnés au travail et au trépas après qu’ils ont mangé le fruit défendu. Notre rébellion contre la sentence funeste emporte nos destins et l’organisation de nos sociétés, et elle semble justifier le développement de toutes les technologies possibles et de tous les fantasmes transhumanistes.

 

Or, l’allongement de la vie ne peut pas être un projet individuel et malheureusement, nous poursuivons cette quête sans réflexion ni anticipation... En effet, la collectivité doit nécessairement en être partie prenante, en transformant radicalement les transports, les logements, l’aménagement des territoires, les lieux de loisir, de culture et de soin. Aujourd’hui, l’espace public n’est pas adapté au grand âge. Si les personnes âgées sont condamnées à rester chez elles, l’allongement de la vie sera absurde ; ces années supplémentaires n’auront un sens que si on leur en donne un à l’échelle sociétale (...).


Les mouroirs que constituent encore trop souvent les maisons de retraite sont à réinventer pour devenir des lieux de vie et d’hybridation[1], mêlant les générations et les activités, du sport à l’art en passant par la cuisine ! Pour honorer la vieillesse, encore faudra-t-il aussi la laisser nous transmettre la force de son expérience, au lieu de la mépriser, en la mettant au rebut de nos vies sociale et familiale, et surtout du monde professionnel. Il va nous falloir inventer de nouveaux dispositifs pour donner aux personnes âgées toute leur place dans le monde du travail.

 

Mais la vieillesse ne peut pas être seulement le temps de la transmission, elle doit être aussi celui de l’apprentissage. Un grand penseur européen, Elias Canetti, rappelait que « la vie est un éternel rétrécissement ». De fait, lorsque l’on est jeune, toutes les portes sont encore ouvertes. A mesure que le temps commet son office, les choix se restreignent et l’on passe progressivement du monde à son pays, puis sa ville, son quartier, son appartement et son fauteuil... Si l’on ne veut pas voir sa vie réduite à peau de chagrin, il faudra apprendre à « jeter son ancre le plus loin possible », comme cette magnifique dame de 92 ans qui se met à apprendre l’allemand ! La mère de toutes les valeurs est la curiosité, puisqu’elle entraîne dans son sillage toutes les autres. Ce ne sont pas les nouvelles technologies qui nous augmenteront, mais nous-mêmes en étant curieux de tout ce que nous ne connaissons pas encore.

 

État, collectivités, entreprises, société civile, il nous faut collectivement repenser le rôle des aînés pour que la vie ait toujours un sens !"


[1] Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Eloge de l’hybridation, Le Pommier, 2020. 

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