Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
« Alors que l’année 2024 a commencé, il est temps de s’interroger sur ce que nous voulons faire de ces jours qui sont devant nous. Qu’allons-nous laisser les prochains mois faire de nous ? Comment allons-nous nous laisser transformer par les événements ? Comment allons-nous nous laisser altérer, au sens d’altérité, par ceux que nous rencontrerons ? Qui voulons-nous être lorsque la fin de l’année arrivera ? Alors que l’être humain, qui est décidément un drôle d’animal, semble passer sa vie à essayer de se définir, la question de l’identité nous est justement posée par chaque nouvelle année qui passe. Qui suis-je ? Qui serai-je ? Qui ai-je envie d’être ? A chaque rencontre que nous faisons, - qu’il s’agisse de rencontres professionnelles, ludiques, amicales, familiales ou encore associatives -, nous sommes invités à nous présenter, à dire qui l’on est ou à rappeler où nous en sommes. Nous répondons souvent machinalement, en déclinant notre prénom et notre nom, notre métier ou notre fonction, notre positionnement dans la famille ou notre statut. Je suis, je suis, je suis ! Personne n’échappe à cette obligation de se définir. Personne n’échappe, puisque nous vivons en société, au devoir de dire qui il est, et ce faisant au devoir de se positionner par rapport aux autres.
Or, ce « qui es-tu ? » et ce « qui suis-je ? » reposent sur une angoisse fortement ancrée en nous – la première chose que nous faisons lorsque nous rencontrons quelqu’un n’est-il pas de décliner notre identité ? Une angoisse liée à « une situation archaïque », comme l’explique Elias Canetti : « C’est le contact hésitant avec la proie. Qui es-tu ? Peut-on te manger ? L’animal, toujours en quête de nourriture, touche et flaire tout ce qu’il trouve »[1]. Est-ce pour cette raison que le sujet de l’identité est si sensible chez les êtres humains ? Est-ce pour cela que nous avons tant besoin de nous définir et de définir ce et ceux qui nous entourent ? De coller des étiquettes et de cataloguer tous ceux que nous rencontrons ?
Même Dieu n’échappe pas à ce devoir de se définir, puisque, lorsqu’il discute avec Moïse, ce dernier lui demande son nom. La réponse de Dieu est énigmatique : « Je serai ce que je serai »[2]. Cela ne semble pas intéresser Dieu de dire qui il est, il préfère se définir par ce qu’il sera, c’est-à-dire se laisser cette liberté de la métamorphose. Nous qui avons tellement tendance à nous définir par rapport au passé ou par rapport au présent ; nous qui avons tellement tendance à nous enfermer dans des identités cristallisantes, - pour nous rassurer ? -, ne devrions-nous pas nous inspirer de cette manière de se définir ? Peu importe qui nous sommes aujourd’hui, ce qui compte, c’est qui nous serons demain. Et plus encore, ce qui compte, c’est ce que nos actes feront de nous demain. Cela rejoint l’idée du philosophe Jean-Paul Sartre selon laquelle ce sont nos actes qui nous font, que « seuls les actes décident de ce que l’on a voulu »[3] et que le faire est révélateur de l’être. En faisant, on se fait[4] ! Alors, peu importe qui vous êtes, agissez ! »
[1] Elias Canetti, Masse et Puissance, Paris, Gallimard, 1966, p. 303.
[2] Exode 3 :14.
[3] Jean-Paul Sartre, Huis clos, Jean-Paul Sartre, éd. Gallimard, 2000.
[4] Jean-Paul Sartre, L’Etre et le Néant, Gallimard, 1976.
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