Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
D’habitude, les bonnes résolutions se prennent lors de la période festive du Nouvel an : chacun se promet d’être meilleur, plus solidaire, plus sportif, plus à l’écoute. On arrêtera de fumer, on se mettra à la cuisine, au yoga et à la course à pied ; on réparera l’étagère en attente de vis depuis 8 mois, on rangera sa chambre et on mettra de l’ordre dans sa vie. Au travail, on se promet d’accorder autant d’importance au temps long qu’au temps court et de ne pas mépriser les temps de réflexion au profit de ceux de l’action. Ces bonnes résolutions durent généralement quelques semaines, puis le naturel revient au galop : les cigarettes se rallument, l’étagère s’effondre et la tenue de yoga croupit dans l’armoire… Comment l’expliquer ? Ne sont-ce pas des résolutions choisies délibérément, avec toute la puissance de notre libre-arbitre ? Des résolutions qui ne nous ont pas été imposées de l’extérieur, et donc d’autant plus puissantes qu’elles sont nôtres ? Et pourtant, ce que nous avons voulu avec force et sincérité, progressivement nous ne le voulons plus aussi intensément. Procrastination, anciennes habitudes et aboulie font leur ouvrage. Si le changement durable ne naît pas d’une opportunité festive et joyeuse, d’où viendra-t-il ?
Tout cela est-il vraiment la faute de nos habitudes ? Pour l’économiste et sociologue américain Thorstein Veblen, comme les êtres humains devaient faire face à des changements de plus en plus imprévisibles, l'évolution a permis l’acquisition de mécanismes sophistiqués permettant la formation d'habitude[1]. Le neurophysiologue William Calvin[2] et le paléoanthropologue Richard Potts[3] expliquent que ces mécanismes de formation de l'habitude seraient nés à cause de l'imprévisibilité des changements environnementaux, et en particulier des changements climatiques. Les instincts n’étant pas assez flexibles pour permettre à l’individu de s’adapter aux contraintes de son environnement, il a fallu le développement d’une capacité qui prenne la forme des instincts, tout en y ajoutant une certaine souplesse. Les habitudes peuvent évoluer en fonction de l’environnement et cela permet aux individus, aux entreprises, aux institutions publiques, de les revoir et de les réadapter dans chaque nouveau contexte. Le monde n’a pas vraiment changé : aujourd’hui, face aux changements climatiques et à la crise énergétique, ce ne sont pas nos instincts qui nous sauveront, mais nos habitudes… A condition de les changer un peu !
[1] VEBLEN T., The instinct of workmanship and the state of the industrial arts, Macmillan, New York, 1914, p. 6-7. [2] CALVIN W. H., A brain for all seasons : Human evolution and abrupt climate change, Chicago: University of Chicago Press, 2002. [3] POTTS R., Humanity’s descent : The consequences of ecological instability, NewYork, William Morrow, 1996.
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