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Radio RCJ: L’hybridation, comme moteur de l’innovation écologique


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


Alors que l’expression « innovation technologique » était omniprésente autour de nous, celle d’ « innovation écologique » prend progressivement sa place dans le débat public. Mais qu’est-ce que signifie au juste « innover » ? Ou plutôt qu’est-ce que devrait signifier ? Le terme « innovation », qui, soit dit en passant, tend à supplanter de plus en plus dans notre vocabulaire, celui de « progrès », semble donner à l’être humain un rôle divin de Créateur de mondes. Cependant, c’est oublier cette phrase extraordinaire du philosophe grec Anaxagore, qui vécut au Ve siècle avant l’ère chrétienne : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau »[1].


Le philosophe nous décrit la manière dont la Nature procède : par hybridation[2] d’éléments existants. C’est un processus dans lequel il n’y a ni création ni destruction (n’en déplaise à Schumpeter !), mais plutôt métamorphose permanente par le mécanisme de l’hybridation. Les créations ex-nihilo n’existent pas ; pas plus que les disparitions absolues. Cela nous donne une intéressante image de la Nature, qui ressemble davantage à une marieuse qu’à une sage-femme ou un croque-mort… Non, comme l’a reformulé le chimiste français Antoine Lavoisier (1743-1794), des siècles plus tard, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».


Mais la formule d’Anaxagore était plus précise, puisqu’elle donnait des détails de cette transformation : c’était un changement par combinaison ou re-combinaison. Si la Nature ne crée rien, elle innove, en revanche ; justement en se servant du mécanisme de l’hybridation d’éléments hétéroclites. Nous ferions bien de nous en inspirer, parce que cette manière d’innover par l’hybridation est économe : faire une chose à partir de plusieurs choses, fabriquer un alliage insolite à partir de plusieurs matériaux, manufacturer un seul outil à partir de plusieurs outils, produire une seule énergie à partir de plusieurs énergies, etc., bref, créer à partir de ce qui existe déjà, grâce à une recombinaison inédite.


L’hybridation pourrait être considérée comme une innovation par le recyclage. Le recyclage, le réemploi ou la circularité constituent d’ailleurs le mouvement même de la Nature, de la réalité. Même notre cerveau recycle d’anciennes fonctions cérébrales pour qu’elles remplissent de nouvelles fonctions. Oui, le recyclage, - prenant la forme d’une recombinaison, d’une ré-articulation, d’une ré-association -, est une vieille habitude du monde, sauf que nous l’avons oubliée et que nous détruisons sans cesse des ressources naturelles.


En renouant avec la Nature, nous pouvons nous réapproprier son habitude d’hybridation de la matière, en l’étendant au matériel, comme à l’immatériel. Créer un nouveau monde, à partir d’autres mondes, c’est aussi savoir relier. Là où il y avait segmentation, silos, distinction, identité, - c’est-à-dire mille murs -, il peut y avoir désormais combinaison, mutualisation, coordination, coopération, hybridation, c’est-à-dire mille ponts !

[1] Anaxagore de Clazomènes, Fragments, Jean Voilquin, Les penseurs grecs avant Socrate, de Thalès de Milet à Prodicos, Garnier Frères © 1964 - GF Flammarion # 31, pp. 147-150. [2] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020.


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