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Radio RCJ: "Festival de Cannes: petite philosophie du cinéma"

  • Photo du rédacteur: gabriellehalpern
    gabriellehalpern
  • 13 mai
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 mai


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


« Vous avez sûrement déjà entendu parler d’Antoine Doinel ! Mais si, Antoine Doinel, le héros de plusieurs films du cinéaste François Truffaut ! Le héros du film « Les Quatre Cents coups », « Antoine et Colette »,  « Baisers volés », « Domicile conjugal » et « L’Amour en fuite » ! Le héros joué par Jean-Pierre Léaud ! Si je vous parle de lui aujourd’hui, c’est parce qu’après avoir vu et revu tous ces films, une chose m’a interpellée. La force d’Antoine Doinel, personnage de fiction terriblement réel, est d’être systématiquement en décalage. C’est d’ailleurs tout l’art de Jean-Pierre Léaud, qui l’interprète, de jouer « à côté », de parler « à côté », de se mouvoir « à côté », en nous entraînant sans cesse dans un va-et-vient entre la réalité et un au-delà que l’on devine. C’est bien simple, Antoine Doinel est un éternel décalé, comme s’il était toujours étranger à la réalité qu’il vit ; sans cesse dans le pas de côté, il semble être à la fois présent et absent, juste et faux en même temps. Si je vous parle d’Antoine Doinel, de ce personnage si attachant et déroutant à la fois, c’est parce qu’il me fait furieusement penser à l’être humain. Quand j’observe les poissons qui se meuvent dans l’eau, les oiseaux qui planent dans le ciel, les fourmis qui cheminent, les rats qui filent et les ver de terre qui rampent, je ne perçois que des mouvements naturels, que des gestes évidents, instinctifs, d’une justesse fascinante. Comme des notes de musique interprétées par les plus grands violonistes, tous ces comportements sonnent juste, immédiatement. Il n’y a pas de fausse note. Et puis, j’observe l’être humain qui gigote d’une drôle de manière sur cette terre, comme un étranger, pas vraiment d’ici ni vraiment d’ailleurs, comme un petit prince échoué sur la mauvaise planète. Regardons-nous, écoutons-nous : tout semble sonner faux, tout semble décalé dans ce que nous faisons. Ces grands singes que nous sommes portant lunettes, trottinettes et écouteurs semblent si artificiels, comme si nous étions des acteurs jouant à côté du film de notre vie, comme Antoine Doinel. 

 

C’est exactement ce qu’a voulu signifier le philosophe Günther Anders lorsqu’il parlait de l’homme comme « étranger au monde »[1]. Il explique en effet qu’il n’y a pas de coïncidence entre l’homme et la nature, comme les autres animaux, et que l’homme a donc besoin d’un autre monde. D’où notre désir de fiction, - à travers le rêve, l’art ou le métavers… « C’est (…) parce qu'il dépend de réalités qui n'existent pas encore et qu'il doit réaliser lui-même, parce qu'il est si peu taillé pour ce monde, si coupé du monde, si étranger à ce dernier, que l'humain pose l'étrange question de la réalité du monde extérieur ». L’être humain a besoin de se faire « un monde à lui un monde par-dessus le monde (…). Pour vivre dans le monde qui lui convient, il a besoin d'en inventer un autre qui surpasse le monde qui se trouve déjà là et qu'il peut rencontrer. C'est aussi pour cela qu'il est libre (…). Il est taillé pour un monde qui n'existe pas, mais qu'il est libre de réaliser après coup, pour lequel il s'engage et à la réalisation duquel il est éminemment intéressé ». Reste à savoir si cet éternel décalage, créateur de nouveaux univers, ne finira pas par détruire le monde lui-même… ».

 

[1] Günther Anders, « L’humain étranger au monde », éditions fario, 2023.


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