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Radio RCJ: En quoi nos actes nous définissent-ils?

Dernière mise à jour : 1 mai 2023


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


Alors que les commémorations de Yom HaShoah, - la Journée de la Shoah -, ont eu lieu, je me suis replongée dans les œuvres de Primo Levi, qui contiennent des réflexions intemporelles sur la vie, l’amitié, la ville, l’Europe, les technologies, les sciences, la responsabilité ou encore le courage. Il ne s’agit pas seulement de son ouvrage célèbre « Si c’est un homme », mais également de ses romans, de ses nouvelles, de ses poésies. Or, j’ai été extrêmement frappée, en partageant ici et là quelques-unes de ses citations, de me voir souvent rétorquée, en guise de commentaire : « oui, mais il s’est suicidé ! ».


Il ne s’agit pas d’un commentaire, mais d’un couperet ! Comme si toute l’œuvre de Primo Levi ne pouvait être interprétée, c’est-à-dire comprise, qu’à l’aune de son suicide. Comme si son suicide venait apporter une explication ultime de tous ses propos, de toute sa vie. Comme si son suicide venait remplacer tout ce qu’il avait pu dire, même ses émerveillements, même ses enthousiasmes. Comme si son suicide devenait tout ce que nous pouvions finalement retenir de lui. Un seul acte peut-il résumer toute une vie, toute une pensée, toute une œuvre, tout un engagement ? Est-ce parce qu’il s’agit de l’acte ultime qu’il peut servir de grille de lecture de tous les autres actes ? Cela est injuste, décidément trop injuste.


Primo Levi n’est malheureusement pas le seul à subir cela ; il est un autre homme dont les réflexions se voient souvent commentées par un « oui, mais il s’est suicidé ! »… Il s’agit de Stefan Zweig. Les suicides de ces deux hommes et leurs causes n’ont rien à voir, - si tant est que l’on puisse les connaître véritablement un jour -, mais les réactions étant similaires, il vient à l’esprit une question : dans quelle mesure un acte, un seul de nos actes, nous définit-il ? Pourquoi certaines personnes s’autorisent-elles à juger toute une vie à l’aune d’un seul acte, ultime ou non ? Pourquoi une telle méfiance, pourquoi une telle suspicion, qui finalement jettent une forme de discrédit terriblement injuste sur l’œuvre de Primo Levi ? Comme si certains ne pouvaient s’empêcher d’en vouloir à l’auteur de « Si c’est un homme »…


Il est temps que la communauté des vivants apprenne que la vie est beaucoup plus compliquée qu’elle ne le pense ; et la mort aussi. A mes yeux, jamais l’œuvre de Primo Levi ne saurait se réduire, s’analyser, se comprendre, se conclure par son acte ultime. « Ce que je fais ou ne fais pas à présent est aussi important pour tout ce qui est à venir que le plus grand événement passé: dans cette formidable perspective de l'effet, toutes les actions sont également grandes et petites », écrivait Friedrich Nietzsche.

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