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Magazine Tenou'a: "Dieu aime-t-il les mélanges?", par Gabrielle Halpern

Dernière mise à jour : il y a 2 jours


Extrait de l'article de la philosophe Gabrielle Halpern publié dans le magazine Tenou'a en 2020:


"La Bible est assez paradoxale dans le traitement qu'elle réserve à ce qui est hybride. Une première lecture pourrait laisser penser que l'hybridation est aux antipodes du sacré; mais une seconde lecture pourrait esquisser une toute autre vision des centaures...


Au commencement, lorsque Dieu crée l’univers, tout n’est que séparation et distinction :


- Il sépare les eaux du ciel d’avec celles de la terre,

- Il crée les plantes et les animaux, chacune et chacun selon son espèce,

- Il opère une distinction entre les jours de la semaine : ceux où l’on travaille et celui où l’on ne travaille pas


Ainsi la création divine est-elle une mise en ordre, une différenciation. Au commencement était la séparation ! Et elle se poursuit, se développe, se déploie, tout au long du Pentateuque:

- Il convient de séparer les tissus,

- Il ne faut pas planter des graines hétérogènes,

- Il faut faire entrer dans l’arche de Noé les animaux, selon leur espèce et leur race,

- Il est interdit de mélanger certains aliments,

- Il faut séparer le pur du profane, etc.


Tout semble n’être que séparation… Comme si elle était synonyme de purification, de bénédiction, de création, d’émancipation. Est-ce à dire que Dieu n’aime pas les mélanges ? Tout semble l’indiquer… Mais si le texte et le contexte illustrent à maintes reprises ce rejet du mélange, les personnages qui les habitent sont des êtres profondément hybrides, comme s’il y avait un apprivoisement progressif du mélange.


Expliquons-nous, en prenant Abraham pour exemple. Fils d’un sculpteur et vendeur d’idoles, il sera le premier à proclamer l’absurdité de ces figurines et l’unicité d’un Dieu transcendant. Son prénom sera, de ce fait, augmenté : d’Abram à Abraham, il est l’homme au nom hybride, tout comme son épouse, de Sara à Sarah.


Et quid de Moïse ? C’est un enfant hébreu recueilli et élevé par la fille de Pharaon. A-t-il une seule identité ou en a-t-il deux, hébraïque et égyptienne ? Cette identité n’est pas seulement plurielle et polymorphe, elle est aussi polémique et contradictoire ; et c’est ce qui fait toute sa richesse.


De la même manière, l’identité de la reine Esther connaît le même sort : cette jeune princesse juive a épousé le roi perse Assuérus à qui elle cache ses origines. Juive parmi les Perses, elle fait partie d’un monde, comme elle fait partie de l’autre, à la fois déchirée et augmentée par ce mélange.


Ils sont à leur manière des centaures : des êtres mi-ceci et mi-cela. Des êtres qui n’entrent dans aucune case ou qui impliqueraient que l’on en crée une autre, une nouvelle, une inédite, juste pour eux.


Il n’y a pas que les êtres humains qui sont sujets au mélange, dans le texte biblique ; la construction du Tabernacle est, elle aussi, une véritable hybridation. Le Tabernacle est un mélange de métaux, de matériaux, d’objets, de savoir-faire, pluriels, divers, hétéroclites et d’origine hétérogène. Et dans ce cas très précis, l’hybridation, qui est aux antipodes de la « pureté », est ce qu’il y a de plus sacré ! Toute la force, toute la beauté, réside dans la coexistence, dans la cohabitation d’éléments hétérogènes, qui se répondent et font sens les uns par rapport aux autres.


Tout se passe comme si au commencement était la séparation, puis la séparation s’est faite hybridation pour donner lieu à des combinaisons inédites et à l’amour du mordoré !"


@Tous droits réservés



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