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Radio RCJ: Pourrait-on imaginer un projet politique sans bouc émissaire?


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la Radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


Le débat public des derniers mois a été particulièrement tendu et laisse imaginer le pire pour la campagne des élections présidentielles françaises prévues en mars 2022. Que ce soient les candidats déclarés, les candidats non encore déclarés, les candidats potentiels, les chroniqueurs sur les plateaux télévisés ou radiophoniques ou les citoyens sur les réseaux sociaux ou ailleurs, il est troublant de constater le niveau de haine qui transpire des propos échangés.


En fait, ce qui est étonnant, c’est la manière dont certains projets politiques s’organisent, se structurent même, autour de la haine d’une partie de la population.


Certains haïssent les riches, d’autres haïssent les pauvres ; certains montrent les personnes âgées du doigt, tandis que d’autres accusent la jeunesse ; certains pointent une religion, tandis que d’autres pointent une autre religion ; certains accusent l’Europe, tandis que d’autres accusent l’Allemagne, ou la Chine ; certains vilipendent l’élite ou les bobos, tandis que d’autres vilipendent le peuple ; certains accusent la banlieue, tandis que d’autres accusent Paris ; certains montrent à la vindicte populaire les élus, tandis que d’autres vouent aux gémonies les journalistes…


Cela pose une vraie question philosophique : a-t-on réellement besoin de désigner un bouc émissaire pour convaincre ? Pour rassembler autour de soi ? Pour se faire élire ? L’existence d’un bouc émissaire est-elle nécessaire pour justifier une vision politique, un projet de société ? La haine serait-elle plus fédératrice ? Ne pourrait-on pas imaginer un projet politique sans bouc émissaire ? Les citoyens ne pourraient-ils pas être unis, tout court, sans être unis contre quelque chose ou contre quelqu’un ? Laisseront-ils leurs haines voter pour eux ?


Il s’agit là d’un vieux débat d’idées, mais dont l’actualité pose question. De la même manière, les écrits de René Girard sur le bouc émissaire prennent une dimension nouvelle dans le monde contemporain. En serait-on arrivé à un seuil où c’est « Dis-moi qui tu hais, je te dirai pour qui tu votes ? ».


A l’échelle personnelle, ce sujet se traduit par les questions suivantes : Se construit-on sur ce que l’on exècre ? L’identité se définit-elle par la haine ?


Le rôle de la philosophie n’est pas d’apporter des réponses, mais de mettre en lumière des questions. Voilà celles que je soumets à votre entendement… Un élément qui laisse un peu d’espoir : une équipe de scientifiques a mis en évidence que la haine et l’amour partageaient des structures communes dans notre cerveau[1]. Décidément, l’être humain est un drôle d’animal !



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