Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
""Nous avons des physiciens, des géomètres, des chimistes, des astronomes, des poètes, des musiciens, des peintres ; nous n’avons plus de citoyens", écrivait Jean-Jacques Rousseau, en 1749. Au-delà de l’art de la formule, ce triste constat a de quoi nous faire réfléchir encore, puisqu’en 2024, notre pays ne semble pas vraiment avoir changé par rapport à celui qu’a connu le philosophe. Chaque élection, qu’elle soit locale, nationale ou européenne, fait rejaillir les corporatismes et les entre-soi, dans une lutte égoïste d’intérêts particuliers. « Qu’est-ce que vous allez faire pour moi ? », demandent dans des émissions politiques cet enseignant, cette infirmière, ce chef d’entreprise, cet étudiant ou encore ce retraité à chaque candidat qui a l’ambition d’exercer des responsabilités, comme si la politique se définissait comme l’art de satisfaire les besoins individuels. C’est là où Jean-Jacques Rousseau nous met en garde justement en nous invitant à distinguer entre la « volonté de tous » et « la volonté générale » ; « celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre regarde à l’intérêt privé, et n’est qu’une somme de volontés particulières »…
Cette prévention du philosophe n’a malheureusement pas été suivie et l’on constate année après année combien les volontés particulières induisent des mesures, des propositions et des programmes politiques particuliers se transformant ensuite en politiques publiques particulières venant renforcer les volontés particulières[1]. Tout se passe comme si un cercle vicieux s’était mis en place entre les Français et le politique dans lequel par un mystère semblable à celui de l’œuf et de la poule où l’on ne sait plus qui a commencé, les égoïsmes étroits sont cultivés. Dans une telle situation, il ne peut plus y avoir de « citoyens », il n’y a plus qu’une juxtaposition de commerçants, d’enseignants, de consommateurs, de retraités, de producteurs, de chefs d’entreprise, d’artistes, d’agents publics et d’étudiants…
"Le traître à sa patrie n’est pas plus blâmable que celui qui sacrifie l’intérêt ou le salut communs à son propre salut et à son propre intérêt", écrivait Cicéron. Avis à tous les citoyens et à ceux qui les gouvernent ou qui en ont l’ambition !"
[1] Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Eloge de l’hybridation, Le Pommier, 2020.
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