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Radio RCJ: "Musée de l'Orangerie et British Museum: Vivre dans la conscience de ce qui nous entoure"


Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.


« Parmi les choses qui m’ont le plus donné à penser ces derniers temps, il y a cette phrase écrite sur l’un des murs du Musée de l’Orangerie, à Paris, à l’occasion de l’exposition de la Collection d’Heinz Berggruen. Cette exposition est un véritable petit écrin qui recèle de nombreux bijoux, parmi lesquels un paysage bleu de Paul Klee, une personne qui lit et qui se dédouble par Picasso ou encore un chat long et maigre de Giacometti.

 

Le préambule ayant été posé, venons-en au fait, en l’occurrence à cette phrase qui m’a frappée : « les tableaux que je possède sont tous enregistrés dans ma tête. Je les garde, comme on garde des souvenirs, je vis dans la conscience de leur existence », écrit Heinz Berggruen. « Vivre dans la conscience de leur existence ». Nous ne possédons pas forcément des Matisse, des Cézanne et des Picasso, mais chacun d’entre nous possède des objets ; des objets qui n’ont pas forcément une valeur financière, mais qui sont autant d’incarnations de souvenirs. Cette tasse achetée lors d’une brocante avec l’homme que j’aime, un jour de mars pluvieux. Cette table de la salle à manger qui a été le témoin silencieux de tant de conversations, de tant de silences, de tant de disputes, de tant de rires, de tant de malentendus, de tant de regards échangés et que j’ai dénichée, après des mois de recherches, dans un petit magasin à Lyon…

 

Ces objets qui vous entourent que vous avez cherchés, achetés, que l’on vous a offerts, dont vous avez hérités, que vous avez nettoyés, rangés, ces touts petits objets qui vous accompagnent toute la journée, comme autant d’amis ou d’anges gardiens, vivez-vous dans la conscience de leur existence ? N’avez-vous jamais pensé qu’ils puissent avoir une personnalité, ou du moins une âme ?

 

C’est ce que j’aime tant dans les poèmes de Francis Ponge. C’est facile d’écrire un joli poème sur une rose, sur une belle passante que j’eusse aimée, sur un bateau ivre… Mais n’est-ce pas plus difficile, plus exigeant, plus miraculeux encore, de savoir écrire un poème qui parle d’un cageot ? C’est tout l’art de Francis Ponge ; mettre de la poésie dans l’anodin, dans l’a priori insignifiant, dans tout ce dont nous avons oublié l’existence. C’est tout l’art des peintres des natures mortes : nous donner l’illusion que ce verre, cette assiette, aux côtés de ces citrons ou de ces fleurs, sont les huitièmes merveilles du monde !

 

Vous pensez peut-être que cette réflexion sur les objets est absurde. Détrompez-vous ! Et faites un tour au British Museum de Londres : vous verrez des milliers et des milliers de pots, de toute taille, des cuillères, des vases et des peignes, œuvres des civilisations du monde. Vous pensez que nos ancêtres vivaient dans la conscience de leur existence ? Et vous, qui les contemplez, comme des œuvres d’art, à travers les vitrines, vivez-vous dans la conscience de leur existence ? Peut-être qu’un jour, ces objets nous jugeront. Ou alors, comme ces civilisations antiques que nous jugeons à travers leurs objets, la nôtre sera jugée à travers les objets qui, peut-être, nous survivrons ».



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