Cette chronique est présentée par Gabrielle Halpern chaque mardi dans le journal de 12h sur la radio RCJ et vous offre un regard philosophique sur l'actualité.
Cesar Pavese écrivait que « l’imagination humaine est immensément plus pauvre que la réalité »… Nous avons pu le constater encore une fois ces dernières semaines, lorsque nous avons été confrontés à une réalité inimaginable, inconcevable et implacable. Une réalité dont nous ne savons que faire. Quels mots pour la dire, pour l’exprimer ? Comment l’analyser ? Comment la penser ? Comment penser tout court ? Les mots manquent et toute pensée de ce que nous vivons semble impossible. Et pourtant, nous n’avons pas d’autres choix que d’essayer de penser. Nous n’avons pas d’autre devoir que de prendre le temps de penser, même si ce temps semble un luxe aujourd’hui, à l’heure où l’exigence d’instantanéité des réseaux sociaux nous oblige sans cesse à réagir tout le temps et immédiatement. Mais ce n’est pas parce que les nouveaux modes de communication publics sont affamés de tweets, de posts et de stories qu’il faut tomber dans ce piège. Nous avons le droit de réfléchir, nous en avons même le devoir, même si cela prend un peu de temps, beaucoup de temps. Se replonger dans les œuvres du siècle des Lumières alors que nous semblons emprisonnés dans l’un des siècles des ténèbres ouvre un chemin intéressant.
En effet, le philosophe Emmanuel Kant rappelle que la devise des Lumières était une devise exigeante, une devise qui invite à la responsabilité… Je le cite : « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les eût affranchis depuis longtemps d’une conduite étrangère, restent cependant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle et qui font qu’il est si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si commode d’être sous tutelle. Si j’ai un livre qui a de l’entendement à ma place, un directeur de conscience qui a de la conscience à ma place, un médecin qui juge à ma place de mon régime alimentaire, etc., je n’ai alors pas moi-même à fournir d’efforts. Il ne m’est pas nécessaire de penser dès lors que je peux payer ; d’autres assumeront bien à ma place cette fastidieuse besogne ».
« Paresse et lâcheté », ce sont les mots d’Emmanuel Kant. Des paresseux et des lâches, il en regorge autour de nous dans le débat public. Des paresseux et des lâches qui se placent si facilement sous tutelle pour ne pas avoir à faire l’effort de se servir de leur propre entendement. Alors, on tweete, on poste, on tonne, on tonitrue. Peu importe si l’on reprend des fake news ou si l’on se met sous la tutelle des pires idéologies. Il faut tweeter, il faut exister ! Il est étonnant qu’il puisse encore y avoir de nombreux responsables politiques et représentants institutionnels qui se laissent piéger par l’impératif de réaction instantanée. Serions-nous passés d’un « Je pense, donc je suis » à un « Je tweete, donc je suis » ? Est-ce cela notre mode d’existence ? Ne savons-nous pas exister autrement ? N’est-il pas temps d’apprendre à penser ?
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