La philosophe Gabrielle Halpern a participé à une journée d'étude autour de la question du handicap, organisée par la philosophe Anne-Lyse Chabert, à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon. A cette occasion, elle est intervenue afin de partage sa vision du handicap et la manière dont sa philosophie de l'hybridation pourrait permettre de penser autrement la question de l'inclusion.
"Le terme « inclusion » est utilisé de plus en plus couramment, mais qui sait que ce nom commun est dérivé du latin inclusio, qui signifiait « emprisonnement »[1] ? Cela renvoyait à la réclusion de l’ermite ou du moine… Or, aujourd’hui, lorsque l’on parle d’inclusion, on l’entend au sens d’intégration. Mais qu’est-ce que cela signifie au juste? Faire un peu de place pour ceux qui sont à l’extérieur? Nous n’en avons pas conscience, mais cette image est terrible ! Quand un enfant naît dans une famille, est-ce vraiment d’inclusion, d’insertion ou d’intégration dont on parle? Non! Et pour cause : quand un enfant naît, il métamorphose tout : les rapports de force, les identités de chacun, les interactions entre les parties prenantes, les relations extérieures, les regards que l’on se porte et que l’on ne se porte pas ou encore la manière dont on se situe les uns par rapport aux autres. Il n’y a pas intégration, insertion ou inclusion… Il y a hybridation[2] ! C’est-à-dire qu’il y a une rencontre, qui conduit chacun à sortir de soi-même. Si nous prenons l’image du Centaure, - figure de l’hybridation par excellence -, c’est précisément ce qui s’est joué : l’humain et le cheval ont dû faire un pas de côté pour créer cette tierce-figure fédératrice qu’est le centaure. Oui, il n’y a rencontre que lorsqu’il y a métamorphose de toutes les parties", Gabrielle Halpern
"S’agissant des personnes en situation de handicap, qu’il soit physique ou mental, il serait terrible de se contenter de les inclure, comme s’ils devaient se contenter de la place qu’on voudra bien leur laisser, - en prenant à leur compte tout l’effort de l’adaptation -, pourvu que cela ne change rien à nos pratiques. Il nous faut comprendre que le vrai défi est notrecapacité à accepter de faire un pas de côté et de sortir de nos bonnes vieilles cases. Le collectif est trop souvent synonyme de « pulsion d’homogénéité » : autrement dit, une personne est intégrée dans la mesure où elle s’homogénéise à l’existantet ainsi coupons-nous les pattes de tous nos moutons à cinq pattes. Au nom de la sacro-sainte « culture d’entreprise », nous créons des clones, parce que nous ne supportons pas l’angoisse engendrée par ce qui est différent de nous. Est-ce cela « l’intelligence collective » ? Dans son ouvrage, Masse et Puissance, l’un des plus grands penseurs européens du XXe siècle, Elias Canetti nous explique que l’être humain redoute plus que tout au monde le contact de l’inconnu, et que toutes les distances, tous les comportements qu’il adopte sont dictés par cette phobie du contact. Le handicap de l’autre, parce qu’il sort de la norme, parce qu’il « transgresse » l’absurde case que nous nous sommes forgés, réveille cette angoisse de l’inconnu. Cessons d’avoir peur et hybridons-nous ; et ce faisant, métamorphosons nos pratiques managériales, nos organisations, nos métiers, nos recrutements, nos relations professionnelles et nos innovations !", Gabrielle Halpern
"Au lieu de parler d’une société inclusive, nous devrions plutôt parler d’une société hybride, puisqu’il s’agit non pas seulement d’inclure tous ceux qui sont différents, physiquement et mentalement, mais de créer les conditions d’une rencontre permettant une métamorphose réciproque. Dans les entreprises, dans les institutions publiques, dans les écoles, les universités, les laboratoires de recherche, les restaurants, les associations et les clubs, - partout ! -, il est urgent non pas seulement de donner une place à ceux qui n’entrent pas dans nos cases, mais d’accepter de se laisser transformer par eux.Ce ne sont pas eux qui doivent entrer dans nos cases ; c’est nous qui devons sortir de nos cases, puisqu’après tout, c’est nous qui y sommes emprisonnés, inclus, reclus!", Gabrielle Halpern
"Ce ne sont pas les nouvelles technologies qui augmenteront l’être humain, ce sera sa capacité à accepter de s’hybrider au contact de l’autre. On se croise, on se parle, on travaille ensemble, mais se rencontre-t-on vraiment ? Ce sera tout le défi de la mise en œuvre d’une société véritablement et profondément hybride", Gabrielle Halpern
[1] https://www.cnrtl.fr/etymologie/inclusion [2] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020
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