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« De la différence entre les concombres et les courgettes » - Tribune dans Ouest France de Gabrielle Halpern à l'occasion des Journées nationales de l'Agriculture


Tribune de Gabrielle Halpern, Philosophe


"Les carottes râpées poussent-elles dans les placards ? C’est ce que certains enfants croient, quand ils ne confondent pas les concombres et les courgettes, comme une récente étude l’a montré. Cette méconnaissance est révélatrice d’une terrible tendance de notre société : si nous sommes de plus en plus connectés au virtuel, nous sommes de plus en plus déconnectés du réel. Et l’alimentation fait partie de ce réel ! Cette question ne concerne pas seulement les enfants, mais aussi les adultes. Il y a urgence car elle interroge aussi notre rapport au corps, à la Nature, à autrui et, du cru au cuit, notre relation au temps.

 

Notre alimentation se révèle en effet aujourd’hui comme le miroir de notre société, de ses fractures, de ses angoisses, de ses fantasmes, de ses angles morts. « Il est tout de même bizarre que ces hommes qui se sont donnés du mal pour fabriquer la nourriture que tu manges, les vêtements que tu portes ou la maison que tu habites, toutes ces choses essentielles pour ta vie, soient tous de parfaits inconnus »[1], écrivait le japonais Genzaburô Yoshino. Nous avons perdu contact avec la Nature, avec la réalité! Combien d’élèves n’auraient jamais vu une vraie vache de leur vie si l’on ne les avait pas emmenés au Salon de l’agriculture ? « Comment donner un sens à sa vie si on ne prête pas attention à son alimentation ? C’est le départ de tout »[2], pour reprendre les mots de Guillaume Gomez, ambassadeur de France pour la gastronomie, l’alimentation et les arts culinaires. « Il faudrait qu’il y ait des petits bacs de potager dans les cours de récréation à l’école pour que les enfants comprennent comment poussent les légumes. Il devrait y avoir des cours de cuisine obligatoires à l’école pour apprendre aux enfants à cuire un œuf, des pâtes. Il ne s’agit pas d’en faire des cuisiniers, mais tout simplement de meilleurs citoyens »[3], écrit-il. Ne faudrait-il pas imaginer un Erasmus agricole en complément du stage professionnel de 3e pour que les enfants reprennent contact avec leur alimentation ? Comment renouer le lien entre les Français et les agriculteurs ?

 

C’est tout le sens des Journées Nationales de l’Agriculture, qui ont lieu les 7, 8 et 9 juin. Cette édition 2024 a pour thème la question de l’éducation à l’alimentation. Ce bel événement convivial et populaire durant lequel des activités sont proposées partout en France, est l’occasion de revenir sur la place de la nourriture dans nos vies. Comment éduquer à mieux manger ? Mille idées fourmillent, comme en témoigne le succès de la grande consultation citoyenne, lancée en perspective de ces Journées, à l’initiative d’Agridemain, de Make.org et d’Open Agrifood, avec plus de 31000 participants et près de 720 propositions.

 

Si la France a noué dans le passé une telle relation à la nourriture, - au point que l’on reconnaît un Français au fait qu’il parle de nourriture durant ses repas ! -, c’est peut-être parce que notre pays avait compris combien la cuisine n’était pas seulement une affaire alimentaire, mais une question éminemment civique. Friedrich Nietzsche ne disait-il pas que « tous les préjugés viennent des intestins » ? Renouons avec l’esprit français !"


[1] Genzaburô Yoshino, Et vous, comment vivrez-vous ?, 1937.

[2] Gabrielle Halpern et Guillaume Gomez, « Philosopher et cuisiner : un mélange exquis – Le Chef et la Philosophe », Editions de l’Aube, 2022.

[3] Gabrielle Halpern et Guillaume Gomez, « Philosopher et cuisiner : un mélange exquis – Le Chef et la Philosophe », Editions de l’Aube, 2022.


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