"Comment repenser l'école ?" - Conférence de la philosophe Gabrielle Halpern auprès de l'Association Apprentis d'Auteuil
- gabriellehalpern
- 29 oct.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 oct.

La philosophe Gabrielle Halpern a été invitée par l'Association Apprentis d'Auteuil, à l'occasion d'un séminaire dédié à la question de l'école. Elle a tenu une conférence pour partager avec les participants sa philosophie de l'hybridation et ses implications pour repenser l'école, l'orientation et le rôle des parties prenantes de l'éducation.
"Créer des ponts entre les mondes, c’est justement ce que je cherche à faire à travers mes travaux de recherche, en forgeant progressivement la philosophie de l’hybridation[4]. Malheureusement, le système scolaire nous apprend dès le plus jeune âge à établir des barrières entre les mondes. A l’âge adulte, il ne faut pas s’étonner que ces frontières se changent en silos, en prisons, puis en fractures. A part l’enseignement agricole, particulièrement visionnaire et pionnier et dont on devrait davantage s’inspirer, dans les écoles et les universités, chaque discipline, chaque professeur, chaque « matière » existe à côté des autres, sans qu’il y ait d’entrecroisement ni de rencontre, comme si cela constituerait une transgression. Une école profondément hybride briserait dès le départ les logiques disciplinaires pour créer des ponts entre les mathématiques et les arts plastiques, l’histoire et la littérature, la géographie et le sport, les langues et la musique. Pourquoi ne pas lier histoire et musique quand il s’agit d’apprendre la Marseillaise ? Pourquoi ne pas entremêler mathématiques et sport quand il s’agit d’apprendre à compter les pompes et les sauts ? Comment construire chez les enfants un réflexe d’hybridation ? On pourrait nous rétorquer qu’il faut d’abord bien ancrer les disciplines dans l’esprit des élèves, avant qu’ils ne soient capables, plus tard, de construire eux-mêmes des ponts entre elles. Cet argument est faux : l’hybridation ne signifie en aucun cas la fusion. On peut tout à fait expliquer ce qu’est le champ des mathématiques et initier les élèves à l’art de construire des ponts avec d’autres disciplines pour les inviter à métamorphoser leur vision des mathématiques et à inventer des milliers de nouveaux cas d’usages de cette science. Il est faux que l’on fait soi-même des ponts, « plus tard, tout seul, quand on sera grand ». Les ponts, il faut apprendre à les imaginer et à les construire dès le plus jeune âge. Si ce désir des ponts, si cette imagination des ponts n’est pas provoquée et cultivée par les professeurs, par les parents, par l’entourage, dans l’enfance, ils ne naîtront pas plus tard par génération spontanée. Ils seront certes toujours possibles, à l’âge adulte, mais ils seront plus douloureux et difficiles. La capacité d’hybridation, l’amour de la métamorphose par l’hétéroclite s’enseignent, se transmettent, se travaillent", Gabrielle Halpern
"Lorsque l’on est jeune et que l’on nous demande ce que l’on veut faire plus tard, on nous donne l’impression que le choix d’un métier est irrémédiable et définitif. On nous donne le sentiment qu’en ouvrant une porte, on fermera toutes les autres à jamais. C’est faux, rien n’est irréversible ! Toutes les portes sont toujours ouvertes, - certes, si elles ne sont pas poussées tout de suite, elles peuvent grincer, et il faut parfois les forcer, voire les défoncer ! -, mais elles sont toujours ouvertes. On peut exercer mille métiers ; on a le droit, par la force de la volonté, de changer la forme de son cerveau ! Ce sera difficile, douloureux, long ; il faudra être patient, mais rien n’est irréversible. L’orientation dans la vie n’est pas un chemin linéaire ; sans retour ni détour. On peut faire des pas en arrière, des pas de côté ; on peut « jeter son ancre » dans des eaux radicalement différentes de soi, pour reprendre la formule d’Elias Canetti. Et surtout, on n’est jamais enfermé dans une vision du monde, on peut passer de l’une à l’autre, utiliser l’une pour un métier auquel elle n’était pas destinée pour brouiller les pistes et apporter un regard neuf à la profession. On peut même hybrider plusieurs visions du monde pour s’en forger une, unique !", Gabrielle Halpern
"Marignan 1515! Combien sommes-nous à avoir appris par cœur la date de cette bataille, durant nos jeunes années scolaires, pour avoir une bonne note à notre interrogation en Histoire ? Cette date ne nous sert plus à grand-chose aujourd’hui, alors que nous sommes devenus adultes, et elle est remisée dans un petit tiroir de notre mémoire, devant sa longévité à la facilité mnémotechnique de la répétition du 15 de 1515! Depuis 1515, de l’eau a coulé sous les ponts; beaucoup de sang aussi et l’actualité réveille chaque jour cette même question: nous avons été de bons élèves, mais à quoi cela nous a-t-il servi? Sommes-nous de bons citoyens? Le philosophe Jean-Jacques Rousseau, en son temps déjà, dénonçait cette éducation de singe savant que nous dispensons à la jeunesse dans les écoles, que « l’on élève à grands frais pour lui apprendre toutes choses, excepté ses devoirs », que sont « la magnanimité, la tempérance, l’humanité, le courage ». Les siècles passés ont malheureusement été l’expérimentation et la preuve de la vanité de l’érudition ; la culture, l’éducation n’ont pas permis d’empêcher la barbarie, ce qui signifie qu’un esprit cultivé et éduqué ne suffit pas. Il faut que les esprits cultivés soient aussi courageux et bons", Gabrielle Halpern.
"Nous touchons là le cœur du sujet: le savoir pour le savoir est absurde, le savoir « parce que c’est au programme » est absurde! Nous avons tant séparé le savoir de son sens que nous l’avons fait tomber dans l’absurdité. A quoi cela sert-il de faire des dictées depuis des décennies pour enseigner la grammaire et l’orthographe aux enfants quand ces feuilles de papier noircies terminent leur vie à la poubelle à la fin de l’année? Cela ne donnerait-il pas du sens à la grammaire et à l’orthographe de faire écrire des lettres aux écoliers pour les personnes âgées de la maison de retraite située en face de l’école? (…). La bonne nouvelle est que le développement de l’intelligence artificielle générative va nous contraindre à repenser le but de nos apprentissages, le sens de nos savoirs, l’utilité de notre érudition. Puisque nos outils technologiques, puisque Chat GPT, Le Chat, Deepseek, Copilot et tous les autres sauront bientôt tout, allons-nous enfin avoir le courage et la bonté d’être des citoyens?", Gabrielle Halpern

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